Revue du rap français automnale

Après les attentats du vendredi 13 novembre qui ont secoués Paris et toute la France, la semaine dernière fut assez spéciale. L’une des conséquences est le report de cet article. Surtout, ces jours qui ont suivis, m’ont permis de prendre encore plus conscience de l’importance de sa famille, ses amis, les gens que l’ont connait de près comme de loin. A partir du chaos, on doit pouvoir réapprendre à dialoguer, à construire ensemble, à vivre.

Voilà simplement quelques mots que j’ai voulu placer en introduction de ma chronique.

Dans cet article, j’ai sélectionné quatre albums sortis entre la fin d’octobre et début novembre que

L’album de Sam’s, Dieu est Grand est parue le 23 octobre 2015. C’est dans les albums de Youssoupha que j’ai découvert ce  rappeur-acteur, originaire de Bordeaux. Tout comme ce dernier, il fait parti du même label, Bomayé Musik. Il a fait plusieurs apparitions sur ces morceaux mais son premier album se faisait attendre.

D’ailleurs, le titre de son album avait été annoncé en 2012, sur l’album de Youss’, Noir Désir, sur le morceau Gestelude:  «On aime se saper chic mais chez nous D&G ça veut dire Dieu est Grand». Ce premier LP est avant tout personnel et introspectif. En effet, comme à l’image de sa pochette (qu’il dévoilé qu’un mois avant la sortie de l’album), Sam’s en profite pour raconter son parcours de vie. Il commence par son enfance dans l’intro, Je suis petit; puis de son échec dans une carrière de footballeur avec F.F.F (Fuck le Foot Frère) ; et des relations sociales avec Les gens deviennent. On passe un bon moment lors de son écoute malgré la longueur de l’album, un problème trop fréquent dans le rap français.

Microbes évoque la jeunesse française qui veut grandir trop vite quitte à se brûler les ailes (le thème n’a pas vraiment changé depuis Petit Frère de IAM, symbole d’une société française figée). Au passage, la production de Cehashi a une forte ressemblance, à celle de Worst Behaviour de Drake.

Sam’s qualifie sa musique comme « rap de vie », Dieu est grand est un album sincère, qui dévoile le puzzle de la vie du rappeur comme le représente l’image de sa pochette. Authentik.
Sam’s, Dieu est Grand, Bomayé Musik, 2015.

 

Le premier album d’Espiiem, Noblesse Oblige. Est un jeune rappeur parisien qui développe depuis quelques années un rap exigeant. Après un mini-album en 2013, Haute Voltige très réussi, Espieem signe son premier album toujours en indépendant qui est sortie le 7 novembre.

Alors qu’en est-il du skeud ? Et bien soulignons d’abord cette superbe production qui donne à l’album une vraie cohérence musicale. Le rappeur a su s’entourer d’une équipe de producteur/beatmakers mené par Astronote, musicien de l’ombre du rap français trop méconnu (le mec a produit un son pour Kendrick Lamar !) L’album alterne entre une musique chiadée, suave mais aussi inquiétante comme sur 777. Espieem a cette qualité d’être un rappeur technique, au flow rapide et la voix caverneuse. Sur cette album, il n’hésite pas à chanter, grosse tendance dans le rap français actuel.

Le morceau éponyme, Noblesse Oblige démontre toute la diversité de son art et la qualité de son flow. Il peut se vanter aussi d’être l’un des meilleurs paroliers de sa génération avec des textes inspirés de sagesse, de spiritualité et de philosophie lui qu’il a étudié à l’Université Panthéon-Sorbonne.

Bon je n’ai pas été forcément convaincu des collaborations excepté Deen Burbigo dans Suprématie. Surtout celui avec K.E.N.T sur Money, qui délivre un refrain fou où les deux artistes critiquent l’avidité et le désir d’argent par tous les moyens. Beaucoup de maturité dégage de cette album, Espiiem se démarque vraiment avec son charisme. Noble.
Espiiem, Noblesse Oblige, Orfèvre Label, 2015.

 

Zdededex: c’est le retour tatoué de Seth Gueko avec Professeur Punchline. Depuis une dizaine d’année, Seth Gueko est ce rappeur qui mélange diverses influences linguistiques comme l’argot, le manouche, le langage de rue, des néologismes et surtout connu pour ses punchlines hardcore. Il se distingue avec des phrases percutantes, des rimes lacérées, souvent imagées, des jeux de mots et des références cinématographiques. Pour comprendre un peu le personnage que représente Seth Gueko, il faut mater la pochette de son album. Ce portrait de Seth arborant tatouages et chevalières est juste impressionnante. Son univers se développe aussi dans ces clips comme dans Val d’Oseille s’inspirer par du nouveau Mad Max que de la série, Walking Death.

Le crédo de ce quatrième album solo, c’est donc un festival de punchline où Seth nous en met plein la gueule ! Prenez un morceau comme Delicatessen où il débute avec ces vers fleuris: «Tu t’prends en photo avec des poucaves #Selfilsdepute; Quand tu m’parles, retires ta main d’ma nuque petits fils d’eunuques».

Le rappeur n’oublie pas de partager en conviant plusieurs rappeurs du moment. Ainsi, n retrouve aussi bien des mecs de la nouvelle génération (Gradur, Niska, Joke, Sadek, Nisa) que des valeurs sûrs comme Lacrim ou Alkpote. D’ailleurs je trouve pas les featurings très réussis, on a l’impression que Seth s’adapte à ses invités alors qu’il devrait les détruire sur la prod. Seth Gueko sait aussi se faire introspectif lorsqu’il révèle il révèle sa spiritualité dans les Démons de Jésus. Bon passons aussi sur le morceau spot de pub sur son bar qu’il a ouvert en Thaïlande, nouvelle terre d’accueil du rappeur, c’est un véritable foutage de gueule.

Et surtout, j’ai adoré Titi Parisien, hommage à la ville lumière et son côté underground qui se démarque de l’ambiance musicale générale du l’abum.

Pas de révolution pour ce nouvel album mais avec la profusion de punchlines, il nous régale et on se marre bien. Seth Gueko affirme qu’il voit le rap comme une continuité du punk, une musique marginale et c’est terrible.
Seth Gueko, Professeur Punchline, Believe Recording/ Neochrome, 2015.

 

Et pour finir cette article (trop long), l’album d’Abd Al Malik, Scarifications. Pas besoin de faire les présentations de cette artiste qui depuis Gilbratar, s’est imposé dans la musique française avec son spoken word (c’est plus classe que slam quand même). Pour son cinquième album, Abd Al Malik est en collaboration avec Laurent Garnier, musicien électro et qui occupe le rôle de directeur artistique du projet. Cette album dégage une véritable alchimie avec cette ambiance techno, organique, futuriste même. J’ai vraiment été épaté par ce projet autant par sa qualité musicale que par le «flow de taré» de l’artiste. On retrouve le besoin d’ego trip au sens de l’affirmation («lyricalement j’suis un strémon» ou le morceau Roi de France); de parler de l’amour de sa femme et  sa muse, Wallen, les références littéraires et  au rap. Même pas besoin de parler des thèmes abordés par l’artiste, il y a une esthétique folle qui émane de ce projet, j’ai eu l’impression de vivre un voyage musicale.
Et puis il y a cet hommage à Daniel Darc, artiste disparu en 2013 avec un texte superbe, où l’espoir est broyé dans la noirceur tel un poème de Baudelaire: «Les frères disent en langage des signes: « donne-moi un héros ou la rue s’ra mon héroïne »».

Vraiment j’ai surkiffé cette album, Abd Al Malik et Laurent Garnier (et Bilal, producteur attitré du rappeur), ont préparé le voyage vers une nouvelle galaxie. Turfu.
Abd Al Malik, Scarifications, PIAS Le label, 2015

PNL: Récap’ d’une première au Yoyo

Jamais dans l’histoire du rap français, un groupe n’avait provoqué autant d’attente que de mystère. Pourtant, ces derniers temps, on a assisté à l’éclosion de nouveaux rappeurs notamment avec des vidéos postés sur internet (les Gradur, Niska,…). Sauf qu’avec PNL (acronyme de Peace & Lovés), on assiste à un véritable phénomène.

PNL au calme, à la playa
PNL rêvant de Miami.

Ce groupe issu de la cité des Tarterêts, a sortie en mars un premier projet, QLF (mixtape ou street album, je sais pas trop) pour Que La Famille, véritable slogan que porte les deux rappeurs, Ademo et N.O.S. L’album est sorti en indépendant en février et j’avoue que je suis passé à totalement à côté à l’époque avec les nombreuses nouveautés musicales. C’est surtout à travers leurs clips que j’ai plutôt découvert leur musique. Et particulièrement, Le Monde Ou Rien:

La première fois que j’ai entendu et vu cette vidéo: OVNI !

Tout simplement, je n’avais jamais entendu ça dans le rap français. En étudiant plus le truc, je découvre un clip soigné et tourné dans la cité napolitaine, la Scampia. Une musique aérienne semblable au cloud rap, des paroles qui évoquent un quotidien coincé entre grisaille, deal, l’évocation d’un futur meilleur et quelques phases cailleras. J’ai été complètement happé par leur ambiance musical, que j’avais l’impression d’être pris dans un sort d’un sorcier béninois !

La spécificité d’Ademo et N.O.S, c’est leur utilisation de l’auto-tune. Ce logiciel de correction vocale qui depuis une dizaine d’année, est très utilisé dans le R’N’B et le Rap (à la base, il est apparu dans le Raï mais c’est une autre histoire). Cependant le rap français a toujours eu du mal à exploiter ce logiciel  qui le voit comme un artifice (Booba et sa voix de robot est une illustration parfaite). Alors que le groupe innove le rap en utilisant l’auto-tune comme un véritable instrument vocale.

Ils se servent du refrain comme l’identité de leur morceau. Le rap français a souvent mis l’accent sur les couplets, des 16 mesures bien construit et voyait le refrain comme un moyen pour synthétiser le propos. Au contraire, chez ces frangins, il y a une recherche de la mélodie, souvent à travers un gimmick, une phrase aussi simple qu’efficace que les «Ouais, ouais, ouais» du Monde ou Rien ou les références populaires comme le personnage de Simba, comme le titre du même nom:

Avec tout cet engouement, leur deuxième album Monde Chico, sortie le 30 octobre avait l’allure d’un véritable événement. L’album s’est classé direct numéro 1 des ventes dès son entrée dans les backs.

Voilà pour placer le décor avant de vous illustrer la grande expérience que j’ai pu vivre.

Le 31 Octobre se déroulait au Yoyo, club collé au Palais de Tokyo, le premier concert (plutôt un showcase) de PNL. Rien que le fait d’organiser leur concert dans cet endroit hype, c’est une première pour le rap français. Arrivé vers minuit devant l’entrée dans la boîte, je découvre une file immense au rendez vous pour l’événement. Après une grosse attente de plus d’une heure, on entre enfin dans la boîte, le public se masse à l’intérieur. Au platine, Richie Beats, excellent producteur pour Joke, Booba, Set&Match, qui dans un set solide, balance les gros hits rap du moment (Kaaris, Booba, Niska, Future, Fetty Wap, …). Le public est mélangé entre des gens de cité et des hipsters. Les gens semblent apprécier et s’ambiancent tranquillement. Beaucoup de mecs, peu de meufs. Les looks sont soignées entre le style avec les cheveux longs, le trio italien (Armani, Gucci, DG), certains abordent des visages mi-moustache, mi-barbe.

J’aperçoit même quelques famous: des rappeurs comme Zoxea des Sages Poètes de la Rue, Flynt, Deen Burbigo ou Doum’s de l’Entourage. Des journalistes rap sont aussi de la partie. J’aperçois un des premiers fanatiques du groupe et journaliste pour Noisey ou Le Mouv’, Genono, ainsi que des mecs de l’Abcdrduson.com, l’une des meilleurs références en France sur le rap. J’apprend aussi la présence de mecs qui pèsent comme Olivier Cachin  (oui oui) ou  Pierre Siankowski des Inrocks.

Puis vers les 2 heures, les gens commencent à s’impatienter et s’énerver. Ils ne veulent que du PNL et puis c’est tout. Et Nodey, le DJ qui suit, en paye les frais. Chaque tentative du DJ s’accompagne de sifflés, de jets de gobelets. Scène surréaliste où Nodey est « contraint » de passer des sons du groupe avant leur arrivée. Le public est affamé et il veut voir les gladiateurs entrés dans l’arène.

A 3 heure du mat’, c’est l’arrivée glorieuse du groupe avec la chanson, Je vis, je visser qui conquit tout le monde. Les morceaux s’enchaînent, PNL, PTQS (Plus Tony que Sosa), Simba, J’suis PNL. Les lascars utilisent l’auto-tune avec maîtrise, reproduisent la même gestuelle que dans leur clip. Derrière l’enchaînement des chansons, l’écran diffuse des essais d’images dans une esthétique mi-kitsch mi-pop évoquant l’univers du groupe. Arrive alors Dans ta rue: «Y’a rien à té-gra en bas; on t’oublie pas on t’remplace».

Surprise, Ademo lâche un peu l’auto-tune pour son morceau solo, Mowgli, «J’suis pas un rappeur, sans vocoder je suis claqué», histoire de faire mentir le refrain. Le show se finalise sur Le Monde ou Rien avec que la famille sur scène dans un joyeux bordel. 35 minutes sans rappel, un show bien trop court pour une première.

Il est 4 heure passé et le Yoyo se vide. Discussion avec un spectateur en sortant du club: « Ils ont mis leurs sons avant leur passage pour provoquer le désir, c’est tout nouveau, c’est incroyable.» Pas tort surtout vu l’engouement qui accompagne le groupe.

Le Monde Chico, QLF Records, 2015.

P.S: Et pour ceux qu’ils s’en foutent des mots, veulent juste des images, voici la récap’ vidéo: https://www.youtube.com/watch?v=WM9LCliu9Yo