Au menu des 22 albums du 27

à la UneAu menu des 22 albums du 27

Le vendredi 27 novembre fut la journée la plus chargée dans le rap français avec la sortie de 22 projets. Face à cet événement, il fallait être à la hauteur avec un nouveau défi. Écouter chacun des différents albums, EP et mixtapes, pour un total de 11 heures et 2 minute. Chronique sur le feu.

Depuis que l’industrie musicale a déterminé le vendredi comme jour des sorties, un rituel a vu le jour chez les aficionados de rap français. Chaque jeudi soir, les auditeurs attendent l’heure fatidique, minuit pile, pour se jeter sur les plateformes de streaming afin d’écouter les nouveautés. Ensuite, le but est de donner son avis, à chaud, sur les réseaux sociaux et de montrer son appétence à livrer des analyses pointues sur le rap français. Cela donne des phrases du style :

« Putain la frappe, c’est l’album de l’année, de la décennie, bande de fous »

« J’veux rien savoir, c’est le meilleur rappeur du monde voir de l’univers »

Les joies de la démocratie et des réseaux sociaux. Bien entendu, moi aussi, je suis passé par là. Mais au final, comme souvent sur les réseaux sociaux, on se rend compte que son avis est juste comme une goutte d’eau dans un océan. Et surtout que son avis à chaud est aussi crédible que Donald Trump qui annonce qu’il a gagné les dernières élections américaines. Malgré le contexte de boulimie de sorties musicales, rien ne sert de courir, il faut aussi savoir apprécier un nouvel album sur le long cours pour le juger avec plus de distance. D’ailleurs, mon philosophe favori résume parfaitement cette idée du temps :

Thierry Henry, la légende

Néanmoins, le vendredi 27 novembre est marqué par un un phénomène inédit. 22 projets – c’est comme ça qu’on parle des disques dans le rap français – sortent sur les plateformes de streaming, établissant un nouveau record pour le rap français.

Les différents projets du 27 novembre recensés par Genius

Cet embouteillage de sorties s’explique notamment par la crise sanitaire qui a bousculé les calendriers culturels. A en croire les commentateurs à la petite semaine, cette profusion de projets montrerait aussi la vitalité de l’industrie rap en France. Il montre surtout une scène surchargée.

Au lieu de faire ma sélection habituelle selon mes préférences, j’ai décidé de donner la chance à toutes les nouveautés. Pour cela je me suis lancé dans l’écoute de l’intégralité des 22 albums, E.P et mixtapes du jour, pour un total d’écoute de 11 heures et 2 minute. Voici mon retour d’expérience.

Entre premier essai, EP surprises et artistes underground

Premier obstacle : par quoi commencer ? Faut-il suivre la logique d’écouter en priorité les sorties les plus attendues ou par ordre alphabétique. Pour éviter de se compliquer la vie, je commence avec le projet le plus court.

Il s’agit de celui d’A Little Rooster & Waltmann, Oasis (3 titres, 7 minutes). Ce mini E.P réunit deux membres de l’écurie 75e Session, le producteur A Little Rooster et le rappeur, Waltmann. Même si je suis plutôt fan de la 75e Session, représentée par Népal (RIP), je n’avais jamais entendu parler de lui. D’ailleurs, sa renommée est plutôt discrète car il ne compte que 324 fans sur Spotify.

Pour cette première écoute, c’est plutôt une bonne surprise. Les productions sont de qualité et Waltmann avec sa voix blasée et un flow arrogant, passe plutôt bien. Ce court projet ne déroge pas à l’identité du crew parisien avec un rap sombre et introspectif. Pour la première étape de cette expérience, c’est une agréable surprise, espérons que l’on continue sur cette lancée.

On enchaîne avec le nouvel E.P de 7 Jaws, Dalton (4 titres, 10 minutes). 7 Jaws est une bonne représentation du rappeur made in 2020. Autant à l’aise techniquement que capable de chanter, l’artiste mise aussi sur un charisme indéniable, malgré une dégaine plus proche d’un punk à chien que celle d’un rappeur. Après une bonne mixtape sortie en début d’année (RAGE), en collaboration avec le beatmaker Seezy, le rappeur originaire de Sarrebourg (Alsace), continue sur sa lancée avec un court projet de 4 titres.

Contrairement à sa précédente mixtape , ce projet est beaucoup moins marquant. Malgré de bonnes productions, toujours sous le contrôle de Seezy, l’écoute se révèle être banale, presque anecdotique dans la discographie de 7 Jaws. On se croirait devant un match Strasbourg- Angers en Ligue 1.

Le titre en plus : « Ça m’régale » à la production très euro-dance. Une tendance club dans le rap français qui se confirme depuis le succès de « Khapta ». La différence avec ce titre de 7 Jaws, c’est que se rapproche plus d’une soirée électro dans une boîte select, qu’une soirée dans une chicha aux néons fluorescents. Un track qui risque d’avoir un sacré effet en live, quand le Covid nous aura lâché les sneakers et que les salles réouvriront.

On passe à l’unique rappeuse du lot : Le Juiice et la mixtape, Jeune CEO (10 titres, 26 min). Et oui, le rap français n’échappe pas aussi à la problématique de parité, même si ces dernières années, de nombreuses rappeuses se sont démarquées, en montrant qu’elles pouvaient être au micro l’égales deshommes. Et Le Juiice fait partie des plus talentueuses. Avec une démarche américaine et une forte personnalité, elle m’avait fait grande impression lors de sa première mixtape, TRAP MAMA. Dix mois après cette sortie, elle sort Jeune CEO. Symbole de sa montée en puissance, sur ce projet est convié des noms de premier choix : Jok’Air, Stavo de 13 Block et Meryl, rappeuse très talentueuse.

Malgré ce beau casting, le projet manque d’originalité, les morceaux s’enchaînent sans grand impact. Même le feat avec Stavo, alléchant sur le papier, tombe un peu à plat. Le Juiice garde cette attitude trap avec un égotrip débridé mais à la fin de l’écoute, la déception domine. Il faudra attendre un long format pour la placer comme la Trap Boss du rap français.

Le titre en plus : « Jeune CEO ». Si tout n’est pas à jeter dans ce projet, on peut retenir ce titre. Avec « Jeune CEO » , Le Juiice nous montre toute la palette de son rap : une prod trap efficace, un flow direct importé des US, son statut d’entrepreneuse mis en avant dans les paroles et un visuel où son attitude gang et sa féminité sont assumées à 200 %. Un savant mélange qui pourrait bien permettre à Le Juiice de devenir la Megan Thee Stallion française.

Après le 94 façon Atlanta, on débarque à Marseille avec le nouvel E.P de MOH, Vatos (6 titres, 16 min). Présent sur la scène locale depuis une dizaine d’année, MOH a connu une petite hype en 2015-2016, avec son premier album L’art des mots, sans parvenir à confirmer. Quatre ans après cet opus et une participation à la super compilation, 13 Organisé, le voilà de retour. Comparer au rap de Le Juiice, son rap a une forme plus classique. Que ce soit dans sa manière de rapper, de parler de la rue, ou le seul feat du projet, Sultan – le morceau s’appelle « Symphonie des Rafales » – on se croirait revivre en 2012. Derrière cette nostalgie, MOH montre qu’il a une belle plume. Vatos respire le rap marseillais à travers ses histoires de rue, qui transpire l’authenticité. Le projet est d’ailleurs sorti sur le mythique label 13e Art Music, qui a hébergé Keny Arkana, Lacrim période phocéenne et maintenant Naps.

On reste à Marseille avec le premier album studio de la Guirri Mafia intitulé Clan Ötomo (15 titres, 51 min). J’avais découvert le groupe composé de Djiha, Solda, Gravou et Malka, quatre mecs des quartiers Nord grâce à un documentaire de Vice, en 2017. Dans ce document vidéo, la Guirri Mafia incarnait à merveille l’identité marseillaise : une forte personnalité de ses acteurs, une énergie folle, des looks incroyables et une notoriété unique dans leur ville. Après plusieurs années d’attente, ils dévoilent enfin leur premier album studio.


Sur cet album, on sent une maturité plus fortes dans leur musique tout en gardant leur réputation street. L’ambiance y est moins énervé que leur premiers sons. D’ailleurs, l’opus est plutôt bien construit avec une variété des ambiances. Capable aussi bien de cracher la foudre que de livrer des titres festifs avec des BPM accélérés, la Guirri Mafia est un parfait symbole du rap made in Marseille.

Le titre en plus : « Comme un dream ». En plus de la collaboration avec SCH, toujours au top de sa forme, le morceau se démarque par sa vibe et les paroles crues des membres du groupe.

On ne lâche pas le rythme et on passe au projet suivant , celui d’Elh Khmer, Rescapé (7 titres, 21 minutes). Lorsqu’on se réfère à la définition du mot « rescapé » dans le dictionnaire, on peut lire : « Qui est sorti sain et sauf d’un danger, d’une catastrophe, d’un sinistre« . C’est un peu dans cet état qu’on fini avec l’écoute du nouveau projet d’Elh Khmer. Trêve de plaisanterie, malgré une qualité disons passable, c’est sûrement le meilleur des trois projets du rappeur de Boulogne après son départ du groupe 4000 Gang. Mais si, Elh Kmer a délaissé son flow nerveux et violent, il s’est tourné vers des mélodies plus génériques. Les tentatives UK drill sont plutôt pas mal, mais c’est loin d’être la folie pour autant.

On continue à s’intéresser aux rappeurs moins exposés avec le projet collaboratif entre Double Zulu et Just Music Beats. Ensemble, ils livrent l’E.P, Ladder Match (E.P, 7 titres, 19 min). C’est clairement une collab’ alléchante, entre un excellent kickeur et un duo de producteurs marseillais, reconnus pour leur style boom-bap 2.0. Après le projet surprise avec Akhenaton, sorti lors du premier confinement, Just Music Beats continuent son grand chelem.

Au menu du E.P : 20 minutes de pur rap, des prods délicieuses, des samples découpés au sabre et une super performance de Double Zulu toujours à la recherche de la rime parfaite comme une quête ultime. Un projet qui risque fort de tourner en boucle dans mes écouteurs.

Le titre en plus : « Triple threat ». On a le droit à un véritable festival lyrical avec deux autres senseï de la rime, Perso et Ron Brice, sur une production qu’on croirait sorti des rues de New-York. Une certaine esthétique qui plaira davantage aux connaisseurs qu’au grand public.

Toujours dans la scène underground, on se penche sur RAS et son projet les Princes de la drill. Depuis le passage de l’étoile filante Pop Smoke (RIP) et son hit « Dior », le rap français s’est lancé à corps perdu dans la UK drill. Pourtant, il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir maîtriser ce style de rap venu des ghettos de Chicago et qui a traversé l’Atlantique pour être utilliser par les rappeur londoniens. Les prods très saccadées sont si particulier à maîtriser et RAS ne fait pas partie de ce panel. Souvent off-beat, les morceaux tombent à plat. Tout de même, on note la présence de bons représentants de la scène drill à la française (Ashe 22, Tooki, Norsace Berlusconi et l’homme de l’année, Freeze Corleone).

Le titre en plus : « LPLD ». Sélectionné grâce à la présence de Freeze Corleone et Norsacce Berlusconi sur le morceau. Cette année, Freeze a transformé tout ce qu’il touchait en or, mais cette fois-ci, c’est le couplet de Norsacce Berlusconi qui fait plus grande impression. D’ailleurs, je vous conseille vivement de vous pencher sur sa discographie. Si on retient plus le couplet des invités, ça montre bien la sensation laissé par le projet. Next.

Voici le dernier E.P de la journée, celui de TNS, Diagnostic (E.P, 7 titres, 23 min). A part pas grande chose à retenir du disque, on note tout de même la présence de Colonel Reyel. Mais si, rappelez-vous, ce chanteur qui occupait les charts aux débuts des années 2010 avec des chansons lascives et un hymne anti-IVG « Aurélie »… Pas sûr que de la plus-value, vite passons à autre chose.

Les blockbusters du jour

On passe maintenant aux opus les plus attendus de cette journée. En premier, c’est BLO II de 13 Block (19 titres, 1h). Après le succès critique et commercial de leur premier album, BLO sorti en avril 2019, 13 Block est attendu au tournant. J’avoue que l’annonce d’une suite donnée à BLO ne m’avait pas vraiment emballé. Car, sur cette opus, le groupe a un peu délaissé le son trap froid de la mixtape Triple S, pour des chansons plus grands publics avec des plus de mélodies. Voir que « Fuck le 17 » devienne le morceau préféré des élèves d’école de commerce, pour s’encanailler, m’avait troublé. Enfin, mon expérience du rap français m’a appris à me méfier des rappeurs qui donnent une suite immédiate à un album à succès. J’avais donc pris le soin de ne rien écouter des premiers extraits du disque, ni regarder leurs derniers clips. Cette écoute allait donc être une vrai découverte.

Pour soigner l’événement, 13 Block a vu les choses en grand. Ils ont réuni une super équipe de producteurs (Junioralaprod, Heazy Lee, Chichi 2031, Kore, SHABZBEATZ) et une liste d’invités longue, comme une kichta avec Zola, Maes, Niska, SCH, PLK. Un casting impressionnant mais devenu banal tant les mêmes rappeurs se retrouvent sur les mêmes albums.

Pour autant, l’écoute de BLO II se trouve être une réussite. Dès l’intro phénoménale « les dodannes », on sent que l’on va vivre un grand moment. Sur cet album, le groupe a misé sur une couleur plus rap, comparé au premier volume. Même si les ambiances varient, on est résolument tourné vers le sombre, comme le démontre leur super pochette et leur dernier clip « Babi », à la mélodie entêtante.

L’autre chose à retenir de cet album, c’est le rôle prépondérant pris par Stavo. Dès l’intro, il marque l’esprit avec sa manière d’écrire si particulière et ces phases percutantes.

« Dans le ghetto, les gentils souffrent, et les vrais subissent, résistent ».

Stavo dans « Les dodanes ».

Cette montée en puissance efface un peu les performances de ses collègues. D’ailleurs, à l’écoute de l’album, on a l’impression que le collectif est moins fort. Que ce soit Zed, Zefor OldPee et Stavo, chacun semble rapper dans son coin, derrière la bannière 13 Block. Une configuration qui rappelle, toute proportion gardée, celle du deuxième album du Wu-Tang Clan, Forever. J’explique le parallèle.

En 1997, le Wu-Tang atteint un niveau de popularité inégalé. Chaque sortie d’un membre du Wu devient une réussite critique et commerciale. Forever sort pour sceller leur apogée, tout en annonçant leur déclin. Certes, 13 Block ne connaît pas le même raz de marée commerciale que le crew mythique de Staten Island, mais on peut y voir des similitudes avec BLO II qui semble être à un dernier tour d’honneur avant la poursuite des carrières solos de chacun. Seul l’avenir nous le dira.

Le titre en plus : « Pavel ». La collaboration entre Stavo et SCH, marquent leur année exceptionnelle dans le rap français. D’un côté, l’ogre sevranais fait une démonstration de son écriture si complexe qu’elle en devient limpide dans nos oreilles. Et de l’autre, le rappeur d’Aubagne est plus diabolique que jamais. Monstrueux.

Restons dans le 93 avec Dinos et Stamina, (14 titres, 45min). Est-ce qu’avec ce troisième disque en trois ans, Dinos a-t-il signé l’album de la maturité ? Car, depuis son retour en 2018 avec Imany, le rappeur a initié une mue artistique avec une direction de ces débuts très portés sur la punchline.

Après ces deux albums parus et une reconnaissance critique, le rappeur de La Courneuve a pris de l’épaisseur. La première surprise de cet album, c’est la tracklist. Alors qu’il avait annoncé un seul feat avec Laylow, ce petit coquin nous avait caché les autres invités, qui sont DA Uzi, Leto, Nekfeu, Tayc, Zefor et Zixko. Ce casting apporte un vrai plus à l’album, ils permettent à l’artiste de varier les univers.

Sur ce troisième LP, Dinos est plus lumineux, tout en gardant son écriture sincère et poignante. L’artiste donne de l’importance aux textures sonores pour magnifier ces paroles. La qualité des productions de l’album est d’ailleurs impressionnante. L’artiste y est d’autant plus marquant, que la couleur du projet est plus rap que ses précédents. Plus, l’écoute de Stamina, continue, plus, on s’approche du perfect. Seulement, voilà, Dinos s’est cru malin de rajouter une phase foireuse sur les femmes enceintes d’un viol dans le morceau « Prends soin de toi ». Une phrase aussi rédhibitoire après un album quasi sans faute, c’est digne du parcours de Claude dans le dernier Koh Lanta.

Le titre en plus : « 93 Mesures ». Mon choix aurait pu se porter sur les retrouvailles entre Dinos et Nekfeu sur l’excellent « Moins d’un », mais je choisis le morceau qui clôt à merveille l’album. Sur une production de Dolfa et des notes de piano magnifique de Sofiane Pamart, Dinos livre tout simplement l’un de ses meilleur textes. Il se livre plus que jamais. Les paroles, l’interprétation, les questions posées, tout est parfait sur « 93 Mesures ». Un grand morceau.

On passe à la réédition de l’album Synkinisi de Bosh (29 titres, 1h15). Apparemment, le rappeur du 78 a jugé bon de rajouter 9 titres supplémentaires à son album, sorti en mars dernier, qui en comptait déjà 20. Et bien, cela sera sans moi.

C’est la surprise du chef. Annoncé quelques jours avant sa parution, la compilation Echelon Vol. 1 (11 titres, 30 min) du nouveau label de Vald est l’un des événements du jour. En interview, le rappeur a expliqué la conception du projet. Après l’annonce de la création de son label, Echelon, en début d’année, il a reçu des milliers de maquettes d’artistes. Le rappeur et son équipe ont passé l’année à sélectionner les artistes les plus talentueux pour les réunir sur cette mixtape.

Sur Echelon vol. 1, qui aurait pu s’appeler le soulèvement des ienclis, on retrouve bien évidemment Vald et ses amis: Suikon Blaz AD sorti de sa léthargie, le producteur Seezy, SIRIUS et toutes une rangée de nouvelles tête. Avec cette variété d’invités, cela donne un projet très hétéroclite. On passe d’un Vald qui souhaite vraiment réaliser la prophétie d’être perçu comme un rappeur conscient dans dix ans, un Suikon Blaz AD en pleine forme et d’autres rappeurs plus ou moins marquants. Retenons plus le but d’exposer des nouveaux talents que le résultat final.

Le titre en plus : « Bertrand » de Charles Bdl. Parmi tous les rookies, il est l’un des plus marquant. Sur ce morceau, Charles Bdl ressemble au Vald des débuts, avec ces paroles dérangeantes et une interprétation saisissante.

On passe à une nouvelle compilation, celle de Matou, Élixir (15 titres, 44min). Derrière ce nom, se cache un producteur et DJ, à la barbe soyeuse, reconnu dans le rap français. Après plusieurs années dans l’ombre, il se lance avec un projet personnel conviant plusieurs rappeurs. Le casting passe de KIKESA à Biffty, de Chilla à Gros Mo ou encore une association inédite entre Jok’Air et Georgio. Un casting XXL qui permet à l’auditeur de faire son marché.

Pour ma part, j’ai jeté mon dévolu sur les tracks « Flouze » de Chilla, le lumineux « Dérapage » de Gros Mo, la performance pleine de mélancolie d’A2H dans « Quand tu pleures », le retour de Biffty avec « 4 saisons » ou encore le crossover étonnant de Jazzy Jazz et Mister V sur « Eldorado ».

Les projets de rap orthodoxe

Avant de passer à l’écoute de cette sélection d’album, une petite explication du terme « rap orthodoxe » s’impose. Cette appellation, inventée par Akhenaton, désigne la forme de rap classique, qui se rapproche des débuts avec des productions boom-bap et une attache disciplinaire à l’écriture. Ce style moins mis en avant ces dernières années, reste plébiscité par une frange du public. Et pour montrer que cette scène reste bien vivante, de nombreux projets du 27 novembre sont à classer dans cette catégorie.

On commence avec une des figures de proue de cette scène : le vétéran Sinik et son nouvel album, 8e art (14 titres, 55 minutes). Déjà, je dois préciser que le rappeur du 91 n’a jamais été ma tasse de thé, même lors de son prime au milieu des années 2000. Autant vous dire que se farcir un album en entier de Sinik, cela va être une petite épreuve. Pour autant, il faut rester lucide en reconnaissant le réel talent du rappeur dans son écriture.

Pour commencer l’album, Sinik reprend la chanson de Charles Trenet, « Douce France » et dresse un portrait peu reluisant de notre pays. Sans s’attarder sur la description de son huitième album, pas trop apprécier pour ma part, il faut reconnaître que sans révolutionner son style, malgré quelques tentatives à l’auto-tune, Sinik reste un acteur important du rap français. Et qu’après vingt de carrière, on peut livrer un opus cohérent et solide.

On passe à d’autres amoureux de la rime, avec l’album commun de Paco & Swift Guad, Balafrés (14 titres, 37 min). Ce n’est pas la première fois que les deux rappeurs de Montreuil s’associent pour un projet commun. Cette année, ils ont d’ailleurs sorti une mixtape compilant leurs meilleures collaborations. Mais cette sortie est bien un album inédit et produit intégralement par Itam.

A l’écoute de l’opus, on sent une véritable alchimie entre les deux MC’s qui partagent cette voix éraillée et un sens de la formule. Dans ce nouvel album, les deux narvalos sont en très grande forme. Ils décrivent leur quotidien à Montreuil, leur parcours d’écorché vifs, leur joie, leur peine, leur beuverie. Bien entendu, les prod sont résolument boom-bap, sans être passéiste. Un album qui plaira aux auditeurs plus habitués aux soirées pilon-Heineken qu’un showcase de rappeur dans une boîte à la mode.

Le titre en plus : « Matraque & LBD ». Un storytelling où Swift Guad et Paco se personnifient dans les attirails préférés des forces de l’ordre. Une figure de style qui permet aux deux rappeurs de décrire les exactions de la police française. Ce titre coup de poing résonne avec l’actualité des violences commises par les hommes en bleus.

On passe au dernier représentant de cette scène, Melan et son album Angle mort (17 titres, 47 min). Bon, pour ne pas paraître méchant, je ne vais m’épancher dessus, je n’ai tout simplement pas accroché à l’album. Force à ce jeune rappeur toulousain qui bosse en totale indépendance. On passe au suivant.

Les rookies

On commence avec le rookie le plus connu de la liste, Captaine Roshi et son Attaque II (15 titres, 43 min). Déjà, il faut noter la productivité du rappeur, car cette mixtape est son quatrième projet en un an et demi. Mais la quantité ne rime pas forcément à la qualité, alors, voyons voir ce qu’il en est.

Dès le premier morceau, Captaine Roshi nous torpille avec son flow saccadé et son énergie folle sur une prod futuriste. Les morceaux s’enchaînent bien, le rappeur arrive à nous ambiancer, nous faire rire avec ces gimmicks, et à varier les styles même si on reste sur un rap cru et énervé. Ces précédentes sorties manquaient un peu d’épaisseur, Attaque II est son projet le plus complet. Petite déception avec le featuring avec Alpha Wann. On s’attendait à un feu d’artifices, on a eu le droit à un pétard mouillé.

Le titre en plus : « Molotov ». Sur ce morceau, Captaine Roshi canalise son énergie avec une belle mélodie et un texte plus personnel. Le clip réalisé par Bleu Nuit, est à mettre en avant tant l’esthétique noire et sobre y est bien représenté.

Place à Mous-K et son album Tour 23 (18 titres, 58 min). Un artiste dont j’ai eu la chance d’interviewer à l’occasion de la sortie de sa première mixtape. Un an après ce premier essai, le rappeur de Corbeil publie son premier album.

Pour son premier long format, le rappeur est moins fougueux, plus concentré, avec une écriture plus dépouillée. Toujours autant à l’aise au kickage et dans la mélodie, Mous-K a passé un cap. Malheureusement, l’album trop long, compte beaucoup de morceaux dispensables, avec des mélodies génériques, déjà entendu. En gros, si on enlève 7-8 morceaux, on peut obtient un super bloc donnant un album de bonne facture. Mais le streaming, tu connais…

Le titre en plus : « Dark ». Sans doute pas le morceau le plus audacieux de l’album tant Mous-K nous transporte avec une mélodie exceptionnelle. Parfois, il en faut peut pour être heureux.

On passe à Doxx avec son album La fin du monde (11 titres, 24 min). Un artiste en phase avec son époque puisque l’album s’ouvre avec des paroles dépressives : « J’suis tellement triste, c’est comme ça, j’vais crever ».

Pour en savoir plus sur le rappeur, il faut savoir que Doxx est le représentant français du « sad rap« , un genre qui a explosé avec XXXTentacion et toute une lignée de rappeurs dépressifs. Autant, ce style peut donner de super morceaux, mais pour tout un album, je reste sceptique.

Effectivement, il semble que Doxx a connu une rupture douloureuse, car durant toute la durée du disque, il chante sa tristesse et son mal-être. Si certains morceaux sont plutôt efficaces, au bout des vingt minutes d’écoute, on en ressort lessiver. Vite, passons au suivant pour retrouver la joie de vivre.

Sur la liste des projets recensés par Genius, on note le premier album de Toma. Aussi brillant artiste qu’il soit, il ne fait pas vraiment du rap. Du coup, j’ai échangé avec le premier album de Memphis Depay, Heavy Stepper (9 titres, 25 min). Alors oui, le fooballeur rappe en anglais, mais comme le Néerlandais joue à l’Olympique Lyonnais, le projet sort théoriquement en France donc je l’ai rajouté à la liste.

L’album est plutôt bien produit, dans la veine du rap actuel, Memphis Depay est plutôt à l’aise au micro. Mais on va mentir, il reste plus talentueux sur le terrain que celui de la musique.

Le titre en plus : « 2 Corinthians 5:7 ». Avec ce titre très efficace, déjà été révélé en septembre avec un clip royal, Memphis Depay montre qu’il en a sous les crampons lorsqu’il prend le micro. Et le « wesh » lâché dans le refrain est juste magnifique. Rien que pour ce clin d’œil en français, il mérite d’être mis en avant.

Après une journée bien chargée à se taper une dizaine d’heure d’écoute, on peut reconnaître que le rap français est l’une des scènes le plus vivante du monde grâce à sa diversité des acteurs et des styles. A défaut d’avoir été particulièrement marqué par les sorties du 27 novembre, on se console comme ses oreilles comme on peut.

Myth Syzer a beaucoup d’amour à nous donner

Myth Syzer a beaucoup d’amour à nous donner

A moins que vous viviez dans une grotte, impossible vous soyez passer à côté du combat de fête foraine entre Booba et Kaaris qui a agité l’actu la semaine dernière. Maintenant que ces deux zigotos sont en détention provisoire jusqu’en septembre, en attente de leurs procès, on peut enfin passer aux choses sérieuses et revenir à la musique. Deuxième partie de ma série d’été: l’album de Myth Syzer, Bisous.

L’été dernier, le producteur Myth Syzer réunissait le rappeur Ichon, la chanteuse Bonnie Banane et le chanteur Muddy Monk sur son nouveau morceau, Le Code, un tube romantique et sensuel. Dans un visuel volontairement kitsch, le clip mettait en scène différentes scénettes où chaque interprète livrent ses sentiments face caméra. Mais la véritable sensation du morceau étant le refrain chanté par Myth Syzer qui donne à son tube, un air de sérénade moderne.

« Allo mon amour, je suis dans votre cour.
Donne moi le code du bâtiment mon amour »

Le 27 avril dernier paraissait le premier album du producteur, Bisous, moins d’un an après son single à l’eau de rose, point de départ de son projet.

Issu de la nouvelle scène des producteurs français

Avant de rentrer dans les détails du disque, intéressons-nous d’abord à son créateur. Myth Syzer n’est ni rappeur, ni chanteur, mais producteur/ beatmaker. Actif depuis le début des années 2010, il s’est fait connaître grâce à ses compositions pour Joke, Damso, Hamza ou encore Jazzy Bazz. Avec son groupe Bon Gamin, composé des rappeurs Ichon et Loveni, Myth Syzer a définitivement imposé son nom dans le rap game. Si le rap français des années 2010 est aussi excitant, c’est grâce à ces producteurs décomplexés comme Richie Beats, DJ Weedim ou Ikaz Boi (proche de Myth Syzer) qui multiplient les projets, travaillent avec plusieurs artistes et par la même occasion prennent une place plus importante sur le devant de la scène. Ainsi, ils donnent une nouvelle dimension au rôle du producteur dans le rap français parfois rigide.

Après plusieurs projets confidentiels et un E.P avec Ikaz Boi, Cerebral sorti dans le prestigieux label, Bromance, Myth Syzer s’attaque enfin au long format. Contrairement à tous ses autres projets, celui-ci est plus personnel car son auteur l’a crée après une rupture amoureuse. En effet, Myth Syzer a révélé en interview avoir eu « besoin extérioriser ses sentiments en chantant ». Parler d’amour en chantant, voilà une démarche qui est plutôt rare dans le rap français; peu à l’aise quand il s’agit d’évoquer les sentiments amoureux. Pour construire son disque, le producteur s’est nourri d’influences venant de la variété française. Il affirme vouloir que son album devienne le « Première Consultation des années 2010 », en référence au classique de Doc Gynéco.

Que du love

Alors quand est-il du dénommé Bisous? D’abord, le disque est remarquable par sa cohérence et sa construction. Il s’écoute comme une B.O d’un film où Myth Syzer opère comme chef-d’orchestre en conviant un casting quatre étoiles. On retrouve des figures de la nouvelle scène pop française (Bonnie Bonnie Banane, Muddy Monk, Aja du groupe La Femme,  Oklou, Clara Cappiani du groupe Agar-Agar et Lolo Zouaï); des rappeurs du moment (Hamza, Roméo Elvis, Jok’air), ses complices de Bon Gamin (Ichon et Loveni) ainsi que le Doc Gynéco sur le morceau La Piscine, histoire d’assumer la filiation avec Première Consultation.

Le projet fait la part belle à l’amour et aux sentiments avec sincérité. Chaque morceau est l’occasion d’évoquer toutes les émotions propres à l’amour comme la séduction, l’euphorie, le désir, la sensualité, la séparation, la nostalgie, l’attente. Myth Syzer crée une couleur musicale en accord aux sentiments exprimés dans les morceaux. Les productions sont très mélodieuses, renforcées par les synthés omniprésents. Les refrains entraînants et très efficaces sont au cœur du disque (Pot de Colle, Le Code ou Coco Love). Cet album est une machine à tube, des loves songs comme Sans toi, avec Hamza le crooner belge 2.0 rappelle le rnb des années 2000.

A la manière d’un top liner, Myth Syzer distille ses refrains et quelques phases parmi ses invités. On sent que l’artiste n’est pas complètement à l’aise dans l’exercice, mais cela montre sa grande authenticité. Mon morceau préféré de l’album, Full Metal est servi par un tempo plus lent qui laisse la place à la voix suave et sensuel d’Aja, ennivré par les vapeurs de l’amour.

Au passage, il faut évoquer le travail esthétique de l’album que ce soit sur la pochette ou dans les clips. Initié par le duo Julia & Vincent, les couleurs pastel et fluo des visuels s’inspirent des roman-photo et viennent rajouter leur pâte à la qualité indéniable à l’album.

Bisous de Myth Syzer épate par sa capacité à mélanger rap et pop voir variété française, un bonbon musical à écouter tout l’été.

Myth Syzer, Bisous (Animal 63/ Believe).
Crédit photo: Alice Moitié

Grems, l’iconoclaste

Grems, l’iconoclaste

Nous voilà au cœur de l’été. La chaleur nous donne l’envie de ne rien faire, à part peut être siroter un cocktail devant une piscine. C’est l’occasion pour moi de revenir sur ce premier semestre 2018 du rap français. Je vous propose alors une série estivale de plusieurs articles composés de portrait, de chroniques d’albums et billes d’humeur des protagonistes qui ont composé mon rap français. Première partie, Grems.

 

Parler de Grems, c’est évoquer toute une partie moins exposé de la scène rap français. Rappeur, producteur, graffeur et graphiste/ designer, c’est un artiste complet. Depuis le début des années 2000, Grems s’est toujours démarqué de la tendance dominante avec un rap inclassable. Tellement inclassable que les médias spécialisés l’avaient classé dans la scène rap dite « alternative » composée de groupes tels La Caution, les Svinkels, TTC ou encore Klub des Loosers.

Parler de Grems, c’est aussi évoquer un rappeur libre, avant-gardiste, en marge mais avec toujours un pied dans le rap français. Car Grems ne cherche pas à être la représentation d’un personnage. Dans sa musique, il se contente d’être lui-même, Michael Eveno. Parce que, comme il l’explique dans les rares interview qu’il donne, le rap lui a sauvé la vie.

Ma découverte de l’artiste

J’ai découvert Grems en 2011 avec la sortie de son cinquième album solo, Algèbre 2.0. En s’associant avec le producteur belge Noza, le rappeur donnait une suite à son premier opus Algèbre sortie en 2004. Le rap français vivait alors une période de véritable renouveau du rap avec des nouvelles figures comme le collectif parisien, L’Entourage (composé entre autres de Nekfeu, Deen Burdigo), Guizmo ou A2H. Cette nouvelle génération de MC s’inspirait fortement du rap des années 90 que se soit dans le style de rime, de flow et de beats boom-bap, style de production très new-yorkaise.

Grems saisit cette nouvelle effervescence qui secoue le rap français pour revenir avec un album solo aux accents boom-bap tout en gardant la créativité sonore propre à l’artiste. Il collabore même avec des représentants de la nouvelle scène comme Nemir dans Gens du Passage et surtout Nekfeu dans Les Vrais Savent (morceau hors-projet). Sur le titre éponyme Algèbre 2.0, Grems donne toute l’étendue de son rap en moins de 2 min: un flow élastique; une grammaire complexe; un vocabulaire mélangeant du verlan, de l’argot, des jeux de mots à tiroirs et une vulgarité audacieuse. Pas de doute, avec Grems, j’avais affaire à un artiste totalement libre et imprévisible.

 

 

 

 

 

Je me suis mis à suivre sa carrière de près. Que ce soient ses projets avec ses différents groupes comme Klub Sandwich ou PMPDJ, ses essais dans l’électro avec le projet Rouge à Lèvre et je me suis surtout intéressé à ses albums personnels. J’écoute alors son chef-d’œuvre, Airmax sortie en 2006, qui fait parti de mon panthéon des meilleurs albums du rap français.

Airmax, un chef d’œuvre incompris

Dans Airmax, Grems impose son art et son style de rap dont il est le fier représentant: le deep-kho. Selon l’artiste, ce son consiste à mélanger du rap et de la musique électro plus particulièrement de la deep-house. Le flow du rappeur au débit incroyable s’adapte parfaitement à ces beats rapides au 120 bpm loin des standards du rap mainstream, comme dans Punky Booster. Avec ces expérimentations musicales, Grems devient l’ovni du rap français, bien avant Jul. Il faut dire que le rappeur prend un malin plaisir à invectiver tout ce qui bouge et surtout le rap game qu’il considère comme de la Pisse de Flûte. Si Grems prend le contre-pied de toute une partie du rap français des années 2000, bloqué dans un stéréotype de street credibility, c’est grâce à son langage bien sûr si particulier, mais aussi grâce aux thèmes abordés dans sa musique. Dans Airmax, il dédie une lettre d’amour aux Gothics, il se moque de la jeunesse fashion dans Putes à Franges et des misogynes dans Pamizo en assumant le fait d’être une pute en mec. Sur cet album, Grems invite un casting très diversifié. Cela va de rappeurs de son cercle proche comme Le Jouage, Sept, Moudjad ou Jonn 9000 (qui produit aussi une grosse partie de l’album), à des rappeurs comme Sako de Chiens de Paille ou Disiz La Peste sur l’excellent Carte à Puce remix. Avec Disiz, ils collaborent ensemble dans le projet Klub Sandwich, ce qui prouve bien la tendance de Grems à multiplier les projets avec des acteurs du milieu. Enfin, avec cet album, je découvre la musique house grâce à ses références comme Moodymann, ponte de la scène de Chicago et cela m’a donné envie de m’intéresser à cette musique. Rien que pour toute ces facettes que regorge Airmax, je remercie Grems.

 

 

 

En 2013, l’artiste sort Vampire qu’il présente comme son dernier album. Sa musique y est toujours libre. Il utilise les nouvelles sonorités de l’époque comme la dubstep, la trap pour les mettre à sa sauce. Le concept de l’album est tourné vers le macabre avec des morceaux comme Zombi, Cimetière ou Vampire. La pochette créé par Grems s’inspire du portrait de Vlad III L’Empaleur, roi de Transylvanie qui fut utiliser pour la figure de Dracula. Si Grems présente son sixième album solo comme son dernier, c’est que celui-ci se sent lassé par l’industrie musical française et la France en général car pour lui, la musique est avant tout une passion qu’un métier. Il considère la France comme un pays rétrograde pour les artistes novateurs comme lui. Alors sur cet album, Grems se lâche encore plus et crache sur le rap game bien sûr, les majors, les sites spécialisés comme Booska-P, les réseaux sociaux, les flics les syndicats, la mentalité française et pour se démarquer encore plus, il définit sa musique comme Shlag music. D’ailleurs, son morceau Pinocchio, peut s’entendre comme un doigt d’honneur général. Grems s’en fout, il est déjà loin de la France grâce à son métier de graphiste/ graffeur qui lui permet de voyager à travers le monde. L’artiste est en roue libre, il crée son propre label (Grems Industry), décide de faire de la musique selon ses envies en sortant une série d’E.P court courant 2015-2016 tout en continuant ses activités de graffeur/ designer. Grems se consacre à partager sa musique avec ces potes. En 2015, avec son acolyte de toujours Le Jouage avec qui ils forment le groupe de ses débuts, Hustla, ils sortent l’album Ascenseur Émotionnel.

Sans Titre #7, le best-of ?

Alors que j’avais détourné mon attention sur l’actualité musicale de Grems, fin 2017, je tombe sur la page Facebook de l’artiste qui annonce un nouveau clip, Fantomas comme premier extrait de son nouvel album. Il s’intitule Sans titre #7 et sort le 19 janvier 2018 uniquement sur format digital ! Great news !

 

On va pas tomber dans le suspense, Sans titre #7 est un excellent et pur album de Grems. Je le vois comme un best-of parfait des vingt ans de carrière du bonhomme. Toute l’essence de la musique de Grems s’y retrouve sur 19 titres courts mais intenses. L’ambiance sonore y est très diversifiée. On passe bien sûr d’hommage à la house de Chicago sur Chichago ou Tokup, des morceaux trap très deep comme Mandala et d’autres plus groovy comme Balaras les Flow grâce au super refrain d’Hedi Yussef. L’artiste est totalement libre et cela se ressent sur sa musique. Qu’il se moque des rappeurs aux cheveux longs sur Babyliss ou adresse une lettre d’amour au sexe féminin dans L’origine, Grems garde cette envie de prouver qu’il est le meilleur MC. Ce que j’apprécie beaucoup chez l’artiste, c’est qu’il dévoile quelques imperfections dans ses morceaux. Comme si l’artiste était conscient que certaines tournures de phrase ou tentatives musicales pourraient mal passer. Sauf que Grems met tellement de cœur et d’énergie dans sa musique, qu’on est immergé dans l’univers de l’artiste et on en redemande.

Sans titre #7 se présente comme l’un des meilleurs albums du premier semestre 2018. Après une courte tournée triomphante en début d’année, Grems a promis de revenir à la rentrée. L’occasion de découvrir toute son énergie sur scène, sa folie et de profiter de sa musique en live. Et si vous êtes intéressé par son travail de graffeur, Grems a lancé un festival de street art, Colorama qui se tiendra à Biarritz du 2 au 22 août.

Dour mon amour

La saison estivale offre une multitude de choix pour un jeune étudiant lambda. Il peut se dorer la pilule sur une plage, organiser des barbecues, bosser dans un taff précaire pour financer ses études ou bien se défoncer les tympans (ou autre chose) dans un festival de musique. J’ai choisi la dernière option. Après avoir écumé quelques festivals parisiens (Rock en Seine, Solidays), cette année, mon attention s’est portée vers le festival de Dour (Belgique) qui se déroulait du mercredi 13 juillet au dimanche 17. Cinq jours complètement fous entre concerts incroyables, bières belges qui coulent à flot et aventures de camping. Tout cela dans un joyeux bordel où résonnaient le cri de ralliement du festoche: Doureuuuh !

Depuis sa création en 1989, ce festival belge se distingue par sa volonté de programmer des musiques alternatives (tout y passe même de l’électro touarègue). Cette année encore, il affiche un line-up impressionnant avec plus de 200 artistes. Bien évidemment, la scène hip-hop était représentée avec des rappeurs américains, anglais, français, hollandais et des belges qui jouaient à domicile. Après avoir vécu cinq jours intenses, j’ai envie de vous faire partager les moments forts du festival.

Day 1: Après un voyage en covoiturage sans soucis avec ma copine, nous arrivons sur le site à 14h pour installer nos tentes et créer un petit camp de base entre amis. Pour le premier jour, le festival programme moins de concerts afin de laisser du temps aux milliers de festivaliers de s’installer dans les différents campings. C’est aussi une habitude à Dour de commencer les festivités par un apéro. A la bière bien évidemment.

Nous débutons les festivités à 20h avec Baloji, rappeur belgo-congolais sur la scène Last Arena (la grande scène). Le rappeur vient présenter son nouvel E.P, 64Bits et Malachite, sorti en 2015, qui mêle sonorités rumba, beats électro et rap. Son show est assez plaisant pour un premier concert. Accompagné de très bons musiciens congolais sapés comme jamais, Baloji vit sa musique physiquement en se laissant aller dans une chorégraphie frénétique digne d’un James Brown. Il en profite pour discréditer l’appellation de world music qu’il juge méprisante. Il mouille le maillot grâce à son énergie folle. Y’a pas à dire, ça promet pour la suite du festival.

Pas de répit, nous enchaînons à 21h30 avec peut-être le concert le plus maboule du festival (oui oui dès le premier jour), Salut c’est cool, le groupe français totalement loufoque de techno-variété (tout un concept). Trop peu de mots pour décrire ce joyeux bordel mais voici une vidéo qui résume bien le délire > vidéo.

Day 2: Le programme s’annonce encore plus alléchant avec MHD, A$AP Ferg, Kevin Gates niveau rap et THE PRODIGY en électro.

Première nuit au camping et premier apéro prématuré, la tradition veut qu’ici on sirote sa bière dès le petit déjeuner. A force de traîner au camping, nous accusons un petit retard pour le concert de MHD sur la grande scène, qui a commencé depuis une bonne demi-heure. L’un des phénomènes rap de l’année avec son afro-trap vient déchaîner la foule à coup de dab. Il enchaîne les titres Roger Milla, Fais le Mouv, Molo Molo et le tant attendu Champions League, son morceau le plus connu, où le public crient ces fameux gimmick « Paw, Paw, Paw, Paw ». Certains festivaliers continueront même à brailler ces mots toutes la soirée.

A 18h30, les choses sérieuses commencent avec A$AP Ferg. Issu du collectif new-yorkais A$AP Mob, le pote d’A$AP Rocky vient présenter son nouvel album, sortie début juin. Avec sa carrure de footballeur américain et sa démarche hautaine, le rappeur prouve bien sa réputation d’américain. Car si A$AP Ferg possède plusieurs bangers dans sa discographie, sur scène il nous donne le strict minimum en enchaînant les morceaux sans conviction. Autant dire que j’étais un peu frustré d’entendre les versions écourtées des morceaux Work, Shabba, Let It Bang. Bon, je me suis quand même bien enjaillé, c’est le principal. En chantant deux fois son gros tube New Level, A$AP Ferg a fait bouger la foule et provoquer un bon fou rire avec ma copine qui pensait que le rappeur répétait «Bitch I’m a noodle». La signification de la chanson en a prit un coup.

Pas de temps de digérer le concert du Trap Lord, que nous filons direct à la scène Boombox,  pour retrouver Kevin Gates, le rappeur de Bâton-Rouge en Louisiane. Si ce rappeur fait encore peu de bruit en France, il connaît une popularité de plus en plus forte aux États-Unis, avec son dernier album Islah. Son show tranche avec le précédent car Kevin Gates a une démarche très sincère dans sa musique. Avec sa voix caverneuse, il se présente comme un gangster repenti, une bête blessée. Même si Gates n’est pas très mobile sur scène, il compense avec son charisme. La musique devient plus sombre, son personnage adopte une posture macabre. Le concert se transforme en une messe funèbre où les basses de plus en plus forte, résonnent profondément dans le sol pour réveiller les morts. On dirait presque de la spéléologie. Autant avec son DJ qu’avec son public, il balance des punchlines bien vénères: «I’m a good person but I hate when a man fucks with me». Le mec ne blague pas sur son orientation sexuelle. Bref, Kevin Gates a montré qu’il était un rappeur sous-estimé.

Wiz Khalifa était annoncé comme l’une des figures rap importantes du festival mais personnellement j’en ai rien à foutre de ce gros drogué aux cheveux violets ! Passons directement à THE PRODIGY qui après plus de vingt ans d’existence  sont toujours là pour défoncer des parpaings à base de son électro et d’énergie punk. Les papys font de la résistance ! > photo

Day 3: La fatigue commence déjà à pointer le bout de son nez mais pas de répit pour une nouvelle grosse journée.
Pour moi, la journée commence à 19h (super tôt) avec Mobb Deep sur la Last Arena. Cela faisait longtemps que j’avais envie de voir sur scène le groupe new-yorkais. J’ai longtemps considéré Prodigy, l’un des membres du groupe, comme mon rappeur américain préféré. Les Infamous débarquent sur scène tout de noir vêtus, sombre comme la musique qu’ils réalisent depuis plus de vingt ans. La démarche est toujours thug, le duo longe la scène tout en s’évitant. Ces dernières années, les deux rappeurs ne se côtoyaient plus. Un nouvel album en 2014 et une tournée, ont fini par les réconcilier. Il faut attendre la vingtième minute pour les voir enfin côte à côte. L’arrivée de Big Noyd en invité surprise redonne un peu de folie au concert. Le groupe rappe une grande partie de leur répertoire notamment des morceaux de leur  mythique premier album qui a fait leur renommée, The Infamous jusqu’à un final d’exception avec la chanson Shook Ones. Sans être étincelant, Mobb Deep a assuré un spectacle de qualité.

A 20h, nous nous précipitons à la Boombox où Jazzy Bazz se produit. Originaire de Paris XIXe, il présente son très bon premier album, P-Town (chronique à venir inchallah) sortie cette année. Accompagné d’un live band et de son acolyte, Esso Luxueux, le rappeur parisien donne la sensation de se faire plaisir sur scène. Tout en enchaînant les morceaux de son album, il rend également hommage au rap français avec des reprises des grands rappeurs (Fabe, Lunatic, Oxmo Puccino). Un bon concert de rap qui donne envie de revoir Jazzy Bazz sur scène.

Pas le temps de niaiser, je fais un petit passage sur la scène de la Jupiler Dance Hall afin de découvrir Peaches, chanteuse canadienne, qui à 47 ans est toujours d’attaque pour foutre un coup pied au cul à la pop music avec son attitude queer et ses beats qui tabassent. Bon j’ai loupé la prestation de Denzel Curry, jeune rappeur floridien qui vient d’être cité dans les Freshman 2016, une liste de rappeurs américains à suivre par le prestigieux magazine XXL. Avec le show extravagant de Peaches, ça valait largement le coup de louper le jeune rookie. Et c’est encore l’expérience qui gagne à la fin > vidéo.

A 22h30, je déguerpis à la Cannibal Stage, pour voir Hamza, le plus américain des rappeurs belges, qui vient de sortir la mixtape Zombie Life. Il symbolise un nouveau souffle que connaît la scène rap en Belgique qui profite ainsi au rap francophone. Malgré son jeune âge (21 ans), le rappeur sait tout faire: il produit, rappe, chante avec auto-tune et enchaîne les tubes avec frénésie. Fortement influencé par le rap d’Atlanta comme Young Thug et Future, Hamza étire ou réduit les mots insufflant à ses chansons. Pour son concert, le public est au rendez vous. Hamza fait monter la pression et il faut peu de temps pour voir une foule complètement débridé. J’aperçois même un mec qui se met même à escalader une colonne du chapiteau à plus de 5 mètres sous les acclamations du public. Comme dirait Kaaris: «Les singes viennent de sortir du zoo». En tout cas, Hamza maîtrise vraiment bien l’auto-tune sur scène, sa voix se transforme presque en chant vaudou qui ensorcelle le public. Il enchaîne ainsi tous ces tubes potentiels et surtout le tant attendu La Sauce. Le rappeur finit par nous achever avec le morceau Slowdown.

La soirée se finit sur la grande scène avec un bon set de Birdy Nam Nam, abandonné par leur camarade DJ Pone. Nous pouvons ainsi rentrer au camping exténué mais rassasié d’une journée bien remplie.

Day 4: Ce festival belge devait me permettre de découvrir la nouvelle scène rap belge en pleine effervescence. J’aurai bien voulu voir les prestations de Roméo Elvis et Woodie Smalls, disciple belge de Tyler The Creator. Mais les programmateurs ont eu la bonne idée de mettre les rappeurs super tôt. Les concerts à 13h-14h quand tu t’es couché à 4h du mat, c’était plutôt tandax. Finalement, j’ai privilégié un petit déjeuner au bon goût du houblon avec des bières tièdes. Au quatrième jour, on fait ce qu’on peut !

Les concerts commencent donc à 17h30 avec Odezenne, groupe français avec un rap de gueule de bois. Sans l’appui des médias traditionnels et rap, ils ont réussi à se créer une vraie fan base grâce à internet. Leurs chansons aux paroles crues décrivent une jeunesse désabusée qui se reconnaît dans ce discours défaitiste. Malgré des paroles bien badJ’suis juste une petite merde issue d’un gland»), les gens sont chaud et j’assiste à un festival de poupées gonflables qui dominent la foule. Même l’ingé-son s’est entouré d’une poupée en latex tout en continuant son taff. Le clou du spectacle se scelle sur leur chanson d’amour 2.0, Je veux te baiser. Eh ouais, au XXIe siècle, les chansons d’amours « fleurs bleues », c’est plus ce que c’étaient.

A 23h, l’un des rendez vous de la journée se nomme Skepta. Le rappeur anglais monopolise l’attention depuis deux ans. Il vient remettre le rap anglais à l’honneur, la grime, ce type de rap au bpm très rapide. La sortie de son album cette année Konnichiwa a aussi été confirmé.  Autant dire que la scène Boombox était pleine à craquer. L’attente est intenable, le mec se fait passer pour un rappeur américain. Finalement sous les cris des gens, Skepta débarque comme un gladiateur dans l’arène. La sono crache des rythmes grime influence caribéenne qui font danser la foule. On se croirait dans un soundsystem jamaïcain. Il termine sur son tube Shutdown Avec seulement 40 minutes de présence sur scène, le rappeur anglais a plié le game !

Day 5: C’est le dernier jour ! Nous sommes toujours debout malgré la fatigue et la saleté. La journée s’annonce toujours aussi chargée. La scène Boombox sera notre QG pour la journée. Et pour profiter des derniers instants belges, quoi de plus beau que de commencer les concerts à 15h !

Fidèles à nos habitudes, c’est avec une bonne vingtaine de minutes de retard que nous nous rendons à la scène de la Boombox pour voir Seth Gueko. Le rappeur le plus loubard du rap jeu vient notamment défendre son dernier album que j’avais chroniqué dans un article l’année dernière. Seth est un habitué de la scène, il blague avec son public, il balance des punchlines. Avec un set solide comme la carrure du gaillard, mais sans folie, Seth Gueko a prouvé son expérience avec plus de 10 ans de carrière. Barlou !

J’ai loupé malheureusement les prestations de TSR Crew, de Vald et d’Oxmo (que j’ai déjà vu). Bon ça sera pour une prochaine fois. Pour finir ces magnifiques cinq jours, notre dernière soirée s’achève sur un superbe set du DJ américain, Sango qui mélange sonorités brésiliennes et des bons beats chiandés.

Merci Dour mon Amour et j’espère à l’année prochaine.

La renaissance de Doc Gyneco

La renaissance de Doc Gyneco

Après plus de trente ans d’existence, le rap français s’est construit des héros, des gagnants, des légendes mais aussi des oubliés, des «perdants magnifiques» comme dirait Sameer Ahmad.

Ces dix dernières années, Doc Gynéco a fait parti de cette dernière catégorie, à cause de trop de présence sur les plateaux télé, de showbiz, de politique avec son soutien à Nicolas Sarkozy pendant la campagne de 2007 qu’il considérait comme son maître à penser (sic). Toutes ces facéties nous avaient fait oublier que Doc Gynéco est avant tout un grand rappeur. Il faut pourtant retourner à ses débuts, dans les années 90. Après toutes ces errances, le rappeur de porte de la Chapelle décide de revenir à ces premiers amours avec la réédition de son premier album devenu classique, Première Consultation, sorti le 15 avril 1996. Séquence nostalgie.

Étant beaucoup trop jeune pour avoir pu vivre ces années, j’ai découvert le premier album du Doc vers 2012-2013. Je me souviens aussi d’avoir grandi avec les compiles cassettes de la famille, où Fille du Moove tournait en boucle. Quant tu es gosse, les paroles ne sont pas bien comprises mais tu adhères tout de suite au groove du son, à la douceur de la voix. Doc Gynéco avait ce charisme qui le destinait à un large public.

Revenons à la genèse du projet. Tandis qu’en 1995, le Ministère Amer, le groupe sarcellois de Stomy Bugzy, Passi et Guetch connaît des déconvenues avec les autorités (les syndicats de police surtout) à cause son rap controversé et brut de décoffrage; Bruno Beausir alias Doc Gynéco signe un contrat avec Virgin et part pour Los Angeles pour enregistrer son premier album. A la recherche du son californien, le Doc rencontre Ken Kessie qui produit entièrement Première Consultation. Avec ce musicien américain qui a travaillé avec Sylvester, En Vogue ou sur la B.O d’Apocalypse Now, le Doc retrouve une ambiance live qu’il souhaite pour son album, des sonorités qu’il juge plus chaudes, plus vivantes et plus californiennes. La démarche est révolutionnaire pour la France car il est le premier rappeur français à collaborer directement avec des musiciens américains. Contrairement à la tendance du rap français plutôt new-yorkaise, le Doc préfère chanter sur des ambiances west coast. Ainsi sur Première Consultation, le rappeur a fait appel à une multitude de musiciens, de chanteuses américaines pour les chœurs qui participent grâce au carnet d’adresse de Ken Kessie.

Dans l’interview qu’il a donné pour l’émission Deeper Than Rap, Doc Gyneco révèle qu’il a trouvé à Los Angeles cette influence g-funk, en parlant d’une «composition en harmonie». Pour les morceaux, il chantait les mélodies a capella afin que les musiciens les reproduisent avec leurs instruments. C’est ce qui permet à l’album d’être aussi agréable à écouter, les quinze morceaux s’enchaînent simplement comme des tubes potentiels et bénéficient d’une rare richesse musicale.

L’album s’ouvre dans cette ambiance suave, avec son single sensuel, Viens Voir le Docteur. Le rappeur impose déjà son mode opératoire avec des phrases langoureuses et aguicheuses. Le Doc construit son personnage mêlant désir sexuel au charisme du rappeur. Ensuite, l’album enchaîne avec un combo parfait: Dans Ma Rue, Nirvana, Passement de Jambes, Vanessa, Né Ici… Chaque morceau est un must, il y a une diversité  des thèmes traités: que se soit avec Nirvana, une ballade mélancolique et suicidaire ou bien avec Né Ici, où il compare la douceur de vivre des îles antillaises et la misère du XVIIIe. Son écriture singulière nous plonge directement dans son univers, grâce à de fortes images métaphoriques.

Doc Gynéco affirmait sa différence par son indifférence au mouvement hip hop qu’il jugeait sectaire. Dans Classez moi dans la variet’, il s’adresse au monde du rap et sollicite son attachement à la chanson française. Le Doc a toujours revendiqué l’importance du texte, l’attention accordée aux mots, à la diction. C’est ce qui le distingue en tant que rappeur qui se préoccupe peu de la technique, qui préfère prolonger les voyelles et adopte un rap-chant peu conventionnel pour l’époque. D’ailleurs dans la suite de sa carrière, il garde cette originalité en collaborant avec différents chanteurs français comme Catherine Ringer, Renaud, Laurent Voulzy, Chiara Mastroianni et même Bernard Tapie dans un morceau d’anthologie, C’est beau la Vie (comme il l’affirme on peut être visionnaire et se planter).

On retrouve aussi Passi sur le duo Est-ce que ça le fait pour certifier la filiation avec le Ministère Amer dans un morceau plus punchy. Sur No se vende la calle, il fait intervenir un rappeur latino inconnu du coin, El Maestro pour un morceau sentant bon le mélange qui caractérise la Cité des Anges. L’un des chefs d’œuvres est, selon moi, Dans ma Rue, un morceau phare qui décrit son quartier de porte de la Chapelle. Tout en montrant les «vices de sa rue» du XVIIIe avec les trafics, la prostitution, les toxicos, il compose un tableau complexe et fantasmé de son quartier mélangeant les diverses influences. Avec ces sirènes typiques californiennes au refrain, Doc Gynéco impose sa nonchalance pour un morceau phare sur l’authentique XVIIIe arrondissement.

Que se soit en traitant de la rue, des femmes, du foot, de la célébrité, de la paternité; Doc Gynéco garde un ton authentique mais surtout non revendicatif. C’est ce qui marque sa spécificité à l’époque où le rap était plus porté sur des messages. Doc Gynéco préfère rapper des storytelling, ses histoires sans morales et ses envies. Capable d’une déclaration d’amour à Vanessa Paradis ou sur le football dans ce qui reste comme le meilleur morceau des années 90 sur le sport-roi, Doc Gynéco reste imprévisible dans sa musique, il garde cette liberté de ton ce qui le rend profondément attachant.

Vingt ans après la sortie, il n’est pas forcément évident de trouver des héritiers de cet album dans le rap game. C’est plutôt son ancien collègue du Secteur Ä, Lino  qui a marqué les années 2000 avec son rap qui claque, à coup de punchlines et de phrases chocs. Doc Gynéco a ouvert un rap plus débridé avec une posture désinvolte. Mais les années 2010 révèlent un retour vers ce rap ouvert au chant et à d’autres univers (PNL, Hamza).

Quand il évoque ces quinze dernières années, le Doc évoque la nécessité d’être «passer par là (la célébrité), de faire toutes ces erreurs» pour pouvoir s’accomplir pleinement. Il y a un peu le sentiment de gâchis au vu de son talent, d’avoir perdu trop d’années avant de retourner véritablement à la musique. Un perdant magnifique vous dis-je.

Doc Gynéco, Première Consultation Réédition, Parlophone/ Warner Music France, 1996/2016.

Eska & Kritter: « Le rap c’est du partage »

Eska & Kritter: « Le rap c’est du partage »

En tant que bouzillé de rap, j’ai souvent croisé de loin comme de près des amis maniant l’art de la rime. En novembre 2015 , j’apprenais que deux potes du lycée sortaient un E.P gratuit, Aurore Story, sous le blaze Eska & Kritter. Après avoir apprécier l’écoute du projet, j’eu l’idée de les contacter pour une petite interview.

C’est lors d’une soirée de décembre, dans un bar chaleureux, du centre de Meaux qu’a eu lieu la rencontre. Dans une ambiance conviviale, pendant que des clients jouaient avec passion à un jeu de société, nous avons discuté, entre des gorgées de bière, de leur passion du rap, de leur ingénieur du son Oner, de leurs connexions, de Vald et même de Christian Estrosi !

MehdiWanKenobi: Premièrement j’aurai voulu savoir quelle a été la configuration pour cet EP ? Est ce que vous parlez d’un duo, d’un groupe ou d’une simple collaboration entre deux rappeurs ?

Eska: Ouais, moi j’aurai dit une collab’.

Kritter: C’est marrant, c’est la première question qu’on nous a posé à la radio, la semaine dernière (interview donnée à la Neo Musiks). Là, on est un peu plus préparés du coup. Quand ils nous l’ont posé à la radio, on s’est dit «merde, même nous on y avait jamais pensé». A la base, on habite à côté, on a le même délire pour le rap, tu vois, donc on s’est dit de taffer ensemble. Mais à vrai dire, on n’a pas vraiment réfléchie pour la suite, là pour l’instant, on kiffe tous les deux, on taffe ensemble, ça se passe très bien, on va peut être continuer. Après, on n’est pas forcément attachés à la notion de groupe, pour l’instant. Pourquoi pas plus tard, ouais ?

Eska: Du moment qu’on fait un deuxième volume, là on pourra dire que c’est un groupe. Là c’est le permier, on se dit que ça reste une collab’.

Kritter: Plutôt du moment où l’on bossera sur un vrai truc, un album, là on pourra parler d’un groupe. Mais des EP, on peut en balancer, ça reste une collab’.

Eska: Au départ, je voulais refaire un EP car j’avais déjà fait une maquette l’année dernière [Meaux de Tête]. J’voulais un truc plus concret, avant ça restait une maquette tant sur la qualité que sur les liens entre les sons. Et Geoffrey/Kritter voulait aussi faire un projet et j’me suis dit que y’avait moyen que ça avance plus rapidement pour lui, en s’associant. Comme j’avais rencontré pas mal de gens suite à ma maquette, et lui aussi, on s’est dit qu’on pourrait faire une connexion quoi.

Kritter: Après, on est quand même ouvert pour continuer à faire des trucs ensemble.

M: J’aimerai aussi revenir sur vos débuts. Depuis quand vous écrivez ? Depuis quand vous rappez, s’il y a une différence ?

E: Moi, j’crois que ça fait depuis la Terminale. Donc maintenant ça fait cinq ans. On avait enregistré deux, trois sons avant, dans le studio de Gabriel, vite fait, à l’arrache, pas mixés, rien. Et puis, pendant trois ans, j’écrivais quelques trucs, avec des potes, ça rappait un peu. Et depuis, un peu plus d’un an, je me dit qu’il fallait que je fasse un truc concret. Il y avait un studio qui venait d’ouvrir à Meaux, je me suis dit, que c’était l’occasion de faire un truc. J’ai enregistré quelques sons, j’ai foutu des morceaux qui dataient de 2013 sur le projet. Et puis, je me suis mis à rencontrer pas mal de gens, c’est devenu plus concret y’a un an. Grâce à Geoffrey aussi…

K: Ouais, on partage nos réseaux.

E: Du coup, j’me suis mis en même temps à écrire et à rapper. Du moment que tu écris, tu es obligé de regarder ce que va donner ton texte, même si c’est par petits bouts.

K: Moi, j’ai toujours écouté du rap. Pourtant, ça m’avait jamais particulièrement parlé de me mettre à rapper. Après, au lycée, j’me suis intéressé au graffiti. Je me suis rendu compte que j’étais très mauvais niveau lettrage donc j’me suis dit qu’il fallait que je trouve un autre délire. Donc, j’me suis mis à faire des pochoirs pour des groupes de rap, des logos, des trucs comme ça. Je suis rentré en contact avec des groupes comme Phases Cachées pour qui j’ai posé des stickers. Du coup, j’me suis retrouvé dans le milieu Hip Hop, ce qui m’a amené à gratter des textes. Par la suite, j’ai complètement lâché le graffiti. J’me suis dit que ça me correspondait moins…

M: C’est marrant, tu as un vrai parcours à l’ancienne comme Suprême NTM. J’voulais aussi revenir sur vos blazes. Il se trouve qu’en recherchant vos noms, j’suis tombé sur d’autres noms d’artistes. Pour Eska/ Valentin, j’suis tombé sur une artiste britannique, un chanteur à la voix dérivée de Garou, et un rappeur qui ne publie rien depuis 2 ans. Ça te dit quelque chose ?

E: T’es sérieux ? Tout ça ? J’avoue pour la chanteuse britannique, j’ai pris son blaze pour la rencontrer, j’suis fan [sourire]. Non, à la base, j’ai pris ce blaze car j’avais un pote qui avait l’habitude de m’appeler KSK, il doit y avoir quatre ans. J’avais les cheveux longs et ça faisait un casque. Et donc, j’ai trouvé ça golri, j’avais pas trop de blaze avant. En plus, le pote qui m’avait appelé comme ça, c’était un mec qui m’avait un peu lancé dans le rap et tout. Finalement, j’ai gardé le blaze et j’ai raccourci pour Eska.
Pour l’autre rappeur, je sais que c’est un mec de Saint-Etienne. J’ai vu qu’il sortait rien depuis longtemps, donc… Après, j’m’en fous, moi ce blaze je l’ai depuis deux-trois ans avant que je connaisse l’existence du mec. Peut-être que la SACEM ne va pas me rejeter avec ça, on verra [rire].

M: OK et pour Kritter/Geoffrey, j’ai trouvé un groupe de métal espagnol, un DJ et tu dois savoir aussi, le nom d’un champagne…

K: Ouais y’a aussi un crocodile dans un jeux vidéo, ça vient de là mon blaze. Comme j’suis encore plus geek que MC, j’me suis dit qu’il me fallait un blaze sur les jeux vidéos, j’ai pris celui-ci. Et il me suit depuis que j’ai commencé le graff’, je marquais Kritter donc j’ai continué avec. Mais pour le champagne, c’est avec un seul T, on me le dit souvent.

M: Pour revenir à toi Kritter, je me rappelle quand j’étais au lycée, tu faisais parti d’un collectif, La Pléiade, en 2012. Vous aviez fait des freestyles, des interviews dans des radios locales. Qu’en est-il ?

K: Des freestyles, on a du en faire six ou sept. C’est juste qu’après le lycée, chacun est parti de son côté et c’était plus dur de se capter. Mais il me semble que toutes les personnes de la Pléiade ont continué. Maintenant ça nous arrive de se capter régulièrement, y’a quelques collaborations qui se font. Par exemple, L-Kim qui est en featuring, est notre graphiste qui a fait la pochette de l’EP. On est tous en contact et c’est super cool que tout le monde continue.

E: Le problème d’un groupe comme ça, c’est compliqué au niveau de l’organisation.

K: Après c’était une super expérience, ça nous a grave aidé, on était tous de niveaux différents, avec des influences diverses. Ça nous a permis de nous ouvrir aussi sur des prods différentes. Ça nous a ouvert l’esprit niveau rap, je pense.

M: J’vais rebondir sur les influences. Sur l’EP, c’est assez varié, vous avez des productions différentes. Qu’est ce qui vous a influencé ?

E: Moi j’avoue niveau influence, c’est plus compliqué à dire. Je sais pas si ce que j’écoute m’a influencé directement. Quand je m’écoute, je ne trouve pas forcément que je ressemble à un autre rappeur. Peut-être que je n’ai pas le recul nécessaire. Franchement, j’écoute à 99% du rap, malheureusement ou heureusement, je sais pas. Après en soirée, je peux écouter tous types de musique, ça me dérange pas… [Interruption suite à un bruit de mixer dans le bar]. Avec les potes, j’peux écouter autre chose mais perso je me retrouve plus dans le rap. Par exemple, en rap cainri, j’écoute beaucoup de mecs de la nouvelle génération: A$AP Rocky, SchoolBoy Q, Kendrick Lamar, Ab-Soul aussi. Après pour des mecs à l’ancienne, Rakim, Wu-Tang Clan, je vais plus piocher dans leurs faces B, leurs productions mais plus vraiment ce qu’il font. Quand j’étais petit, j’écoutais sur cassette. Aujourd’hui concrètement, quand j’écoute 2Pac ou Notorious B.I.G, j’vais écouter un son ou deux, j’vais kiffer mais après ça va vite plus me soûler que des trucs contemporains.  En rap français, j’écoute tout ce qui se fait. J’ai écouté la dernière mixtape de Swift Guad, Vice & Vertu; Vald, NQNT2 je l’ai écouté y’a pas très longtemps, Nekfeu, j’attends le prochain projet d’Alpha Wann, Alpha Lauren. Tous les mecs de la nouvelle génération comme de l’ancienne: IAM, Lunatic, Scred Connexion, Oxmo, tout ça.

K: Bon j’vais me limiter au rap US et français car j’écoute aussi sur de tous les continents, des trucs sud-africain, hollandais. Sinon en US, j’vais te citer deux labels comme Strange Music de Techn N9ne et Krizz Kaliko dont j’suis totalement fan. Et sinon, TDE avec des Kendricks Lamar, SchoolBoy Q, et plus récemment Isaiah Rashad. C’est mes deux labels coeurs en rap américain. Sinon en France, j’vais aussi cité deux labels avec la 75 Session, je kiffe, ils essayent plein de trucs. Leurs deux derniers projets sont super originaux. Ils ont fait un projet sans aucun sample (Delta) et celui de H-24, vue qu’il s’appelle comme ça, son projet a été fait en 24 heures. J’adore ce qu’ils font, ils se donnent et vont au bout de leur concept. Et je dirais Don Dada [label d’Hologram Lo’ et Alpha Wann]. Et mention spéciale pour Vald qui est mon MC préféré. J’adore les concepts, les délires qu’il met dans sa musique, ses sons cachés, ses interludes chelous. Voilà, pour moi, c’est vraiment plus un artiste qu’un rappeur. Textuellement, c’est excellent.

E: Au delà de ça, c’est le seul mec en mode acteur dans le milieu du rap français, avec son pote A.D, dans leurs clips, ils sont dans un délire gros, c’est des personnalités, ils sont loin gros !

K: Le clip/ freestyle sur Booska-P, c’est futuriste, c’est vraiment plus rap US que français mec.

E: Le mec a repris l’interview de Yann Moix genre On n’est pas couché, gros, j’étais mort de rire.

M: Il a compris comment utiliser les médias…

K: Ouais et les réseaux sociaux … Et les sites de boule aussi (rire) !

M: Pour revenir à l’EP, j’étais agréablement surpris de la variété des productions. Par exemple, vous avez une production d’Oner, il a travaillé avec 1995 (Bla Bla Bla)…

K: C’est notre ingé-son en fait. Les gens font plus la relation avec Areno Jaz [Oner fait parti du groupe XLR].

M: D’accord. Comment s’est faite la connexion ?

E: Par moi. En fait, quand j’avais fait ma première maquette, je cherchais encore des prods. Du coup, je l’ai contacté via la Rue du Bon Son (un groupe facebook). Oner m’a répondu, il m’a ajouté direct, je lui ai chopé une prod, j’ai enregistré un son chez lui pour ma maquette, tu vois. Il y avait un bon feeling, on rigolait bien, on s’est dit qu’il fallait continuer. On a enregistré tout l’EP chez lui, il a mixé tout le projet, et c’est un de ces potes à lui, Mefisto qui a fait le mastering.

K: Ouais même maintenant, c’est un échange de bons procédés. On lui a présenté L-Kim qui lui a fait sa pochette aussi.

E: Carrément, j’suis sûr que y’a d’autres choses aussi. Par exemple, il nous a présenté à Manny, qui signe la prod de Vrai, un MC qui fait aussi du beatmaking. On l’avait croisé en Belgique, dans une radio. En fait, c’est grâce à lui qu’on est parti là-bas car il avait partagé mon projet, la radio avait bien kiffé et puis on est parti. Oner il est capable de nous décrocher une radio, un truc, c’est avec plaisir. En plus chez lui, dans son studio, on trouve quelque chose qu’on aurait pas ailleurs. Il nous donne des conseils. Dans un plus grand studio, l’ingé-son, il s’en bat les couilles, il va te dire de te dépêcher.

K: Maintenant ça me paraît chaud, d’enregistrer ailleurs. C’est la maison !

E: En plus lui, il a plus d’expérience que nous, il a 28 piges, ça fait 15 piges qu’il rappe. Concrètement, t’es obligé de te mettre la barre un peu plus haute, tu sais que y’a un vrai mec qui t’écoute. Quand il te félicite sur un couplet, t’es vraiment content. C’est une bonne écurie !

M: J’voudrais revenir aussi sur des petites phases que j’ai aimé, Eska sur un morceau tu dit: «J’mise sur l’immobilier comme Donald Trump», ça m’a bien fait rire. Tu peux expliquer ?

E: Ouais, j’taffe dans l’immobilier, au final plus dans la branche sociale. A la base, j’avais fait une filière immobilière, là j’suis en master. J’parle de ça car c’est mon taff’. Donald Trump, j’l’aime pas, c’est un enculé mais voilà si je finis milliardaire comme lui sans être un enculé, c’est bon. Après c’était plus la référence à l’immobilier, pas dans son sens, j’l’aime pas ce mec, c’est tout [rire].

M: Pour toi, Kritter, j’ai noté: «J’ai juste besoin d’un divan bien cosy, les haters deviennent verts comme Christian Estrosi». L’occasion de mettre la référence à Infinit’ ?

K: Exactement, t’as tout dit. Moi aussi, j’ai une vrai haine pour Christian Estrosi. Tout a été dit sur le remix d’Infinit’.

M: J’ai aussi remarqué vos types de refrain. Je trouve que vous avez des refrains assez différents de la tendance actuelle qui se concentre sur un gimmick, un mot clé. Vous enchaînez les phrases dans vos refrains qui rappellent ceux du rap des années 2000. Comment bossez-vous vos refrains ?

K: Ca dépend, on va travailler autour d’un thème. En même temps, on se force à procéder de manière différente. On a essayé de faire ça sur le projet. On s’adapte à la prod, je sais pas, ça peut partir d’un passe-passe ou d’un refrain. On se force à taffer des trucs différents pour chaque morceau. Des fois, j’peux lui apporter une phrase ou un mot comme dans Vrai. J’avais une phase, fallait que ça soit dans le refrain. On procède vraiment de manière différente.

E: Ouais après pour le morceau Fumée Noire et Cohibas, j’avais bosser la prod à Meaux, avec le mec Ena-N. Après ma mesure, j’avais gratté un bon refrain seul-two et j’ai montré ça, tu avais bien aimé. J’ai plus de facilité à gratter les refrains que les couplets, tu vois.

K: Si je bosse sur un refrain, j’vais plus essayer de faire un refrain changeant, des trucs comme ça, des mêmes placements, des mêmes rimes et des mots changés.

E: Ouais en tout cas, il m’apporte un truc rien qu’avec un mot, une phrase que j’aurais pas trouvé. On se complète bien là dessus. Ouais par exemple sur Dard De ville, c’est Geoffrey/Kritter qui avait trouvé cette phase «la vue s’estompe, la rue se trompe».

M: Pour revenir à Dard de Ville, et c’est ce qui m’a frappé dans tout l’EP, c’est cet univers nocturne. En quoi la nuit vous influence dans votre musique ?

K: En fait, on a voulu bosser sur un projet qui va du plus sombre au plus lumineux. Le changement se fait avec la musique produite par Jean Jass, Homme Riche qui est une prod changeante. Ce basculement, il marque le morceau mais aussi tout l’EP, avec d’un côté des morceaux plus sombres et d’autres plus lumineux et joyeux, d’où le titre Aurore Story. Après pour la nuit, je crois que ça vient de nul part. Enfin, on a essayé de donner un thème général au projet et ça s’est fait naturellement.

E: Ouais, après c’est lui qui a trouvé tous les titres des morceaux, à part Vrai. Mme le titre de l’EP, Aurore Story. Le morceau Dard de Ville, la prod de KLM s’appelait Misterio, avait un côté super-héros. Donc on s’est dit qu’il fallait qu’on continue sur ce côté là.

M: Justement sur l’univers de la nuit, vous avez repris le morceau de SchoolBoy Q, Hell Of A Night. J’avais déjà entendu une reprise (ratée selon moi) par Georgio sur sa mixtape, Nouveau Souffle. C’est quoi le délire des rappeurs avec cette production de DJ Dahi ?

E: J’crois que le délire c’est que j’écoutais le rappeur dans le train. Je l’ai déjà dit mais j’écoute, on écoute beaucoup ce mec. J’ai eu l’idée de reprendre cette prod même si c’est un classique, on s’en fout. Pareil, ça s’est fait naturellement, la prod elle est lourde, c’est la seule face B. Après, y’avait le côté challenge car y’a pas mal de rappeurs qui ont posé dessus donc si tu te chies dessus… Après tu peux pas le clipper car tu peux pas faire aussi bien que SchoolBoy Q [rire]. Ouais, c’était vraiment pour le délire, le côté défi qu’on a fait ça.

K: Même on s’est même dit que chacun écrive l’intro pour le couplet de l’autre, s’échanger les phases.

E: Ouais par contre fallait apporter une structure. Voilà début 12 mesures, puis 24 mesures, etc. C’était un bon délire. On cherchait à taffer ensemble pour le début du projet donc ça nous a permis d’explorer le truc. La plupart des trucs que tu as en face B, j’sais pas, ça va faire 16 mesures, 1 mesures de refrain, là on avait une bonne structure.

M: OK. Alors vous avez déjà parlé de la pochette faîte par L-Kim qui est plutôt réussi. Vous collaborez depuis longtemps avec lui ?

E: Dans la Pléiade.

K: En fait, moi je le connais depuis longtemps… Quand je passais mon BAFA, j’ai croisé un mec qui m’a dit qu’il avait un pote qui rappe aussi et que je pourrais me mettre en contact avec lui. On a fait un open mic ensemble et après il est rentré dans la Pléiade. Quand le collectif s’est séparé, il a rejoint le Marabou Crew qui est devenu le Marabou, là ils font les premières parties de Kacem Wapalek. Ils ont une puissance sur scène, le live. Pour avoir un avis sur eux, j’pense qu’il faut que tu les vois sur scène. Ils ont un jeu de scène avec des masques, des trucs comme ça.

E: Moi c’est grâce à lui que je l’ai connu, on s’est captés. Il m’avait déjà fait la pochette de ma maquette et il a refait aussi celle-ci, voilà.

M: Alors comme vous venez de Meaux, je sais pas si vous avez suivi ce qui se passe avec…

K: Djadja et Dinaz !

M: Ouais, il fallait un peu en revenir.

E: Tu sais quoi, en arrivant, je les ai entendu à la radio, sur Génération.

K: Et ben gros, j’ai écouté hier soir leur dernier son qui sera sur la compil’ de Coolax, un beatmaker je crois. Et, j’étais agréablement surpris… En fait, c’est du PNL en énervé ! Si tu veux, si PNL dans leurs fins de phrases, ils sont être plus posés, c’est des vocalises descendantes. Tandis qu’eux, c’est saturé limite, et ils apportent un autre truc. Quand j’ai écouté leur premier son, j’me suis dis c’est vite fait, j’ai pas trop kiffé et y’a qu’hier soir, que j’ai trouvé qu’ils avaient un petit truc. J’comprends l’engouement qu’il y a autour d’eux. Après c’est plus autour des mecs de quartier mais j’pense que y’a pire.

E: Moi franchement, je l’ai connu avec leur son là, tu sais ils ont fait de la prison avec leir clip [suite à l’exposition d’arme à feu dans un de leur clips à Beauval]. Déjà à cette époque, j’crois, ils avaient des 40-50 000 vues. Au moment où j’enregistrais ma maquette dans le studio Urban music, le responsable mettait leur clip en espérant que leur sanction soit pas trop lourde. Au final, j’crois qu’ils ont prit trois mois ferme. Du coup, j’avais écouté deux-trois sons. Concrètement c’est pas le rap que j’écoute mais après les sons, j’peux les écouter dans ma caisse, ça me déplaît pas. J’comprends qu’il peut y avoir un engouement après c’est pas mon délire de rap. Quand je vois qu’ils ont 700 000- 1 millions de vues, j’me dis que c’est un bon buzz, tant mieux pour eux.

K: Y’aurait pu avoir un buzz sur un mec qui soit vraiment mauvais. Tandis qu’eux, y’a un petit délire. Ils se complètent bien tous les deux. Après si l’engouement continue, ça peut les faire progresser, faut voir ce qu’ils vont en faire.

M: Pour revenir à votre EP, qu’est ce que vous attendez sur la réception des gens ? Est ce que vous avez déjà eu des bons retours ?

K: Ouais pour l’instant, on a exclusivement que des bons retours. Mais après, c’est des retours de gens proches de nous deux. Ce qu’on attend surtout, c’est quand y’aura les premières personnes qui nous connaissent vraiment pas, nous diront «j’suis tombé sur votre musique, j’ai kiffé». Le problème avec tes potes, même s’ils ont un avis objectif, forcément c’est tes potes et donc ça n’a pas la même valeur, même si ça fait plus plaisir.

E: Carrément, après pour l’instant, on doit avoir 400 écoutes sur le site [au moment de l’interview]. Perso je l’ai pas fait beaucoup tourné, j’ai des potes qui l’ont pas encore écouté. En fait, on a eu que des bons retours, de proches comme il le dit mais après j’ai eu quelques personnes qui m’ont ajouté suite à l’EP, tu vois des beatmakers, des gars comme ça. Par exemple, y’a un mec qui nous avait fait un bon retour, un mec qu’on avait au studio d’Oner, je me rappelai même plus c’était qui. En gros, il nous a dit qu’il trouvait que y’avait un bon délire, c’était bien dans l’ensemble et c’était un avis extérieur. Après, il y en a d’autres mais j’t’avoue que ça m’a pas très bien marqué. Comme dit Geoffrey/Kritter, si c’est tes potes qui te félicitent, tu te dis que t’aurais pu faire de la merde, ça aurait été la même. Moi perso, je réécoute l’EP avec plaisir, j’aime bien. Alors que ma première maquette, sans plus. Alors que là, j’aime bien. Si on arrive à avoir une marge de progression aussi importante après mon premier EP que sur le deuxième, j’me dis que ça serait un truc de ouf ! Tu vois la semaine dernière, quand on était à la radio, y’avait un grand renoi, il est arrivé en dernier au studio…

K: Ouais, il était un peu en retrait, il a été un peu forcé d’écouter notre freestyle et à la fin de la radio, c’est le seul à nous avoir dit: «Franchement les gars vraiment bien votre truc, j’aime bien comment vous rappez». Ça faisait plaisir parce qu’au final, c’était le seul qui écoutait vraiment, les autres étaient en train de parler, rigoler.

E: Ouais tu vois, un peu un mec de tess’, c’était cool. Après concrètement, on sait qu’il doit y avoir des trucs à améliorer. Même, Oner nous a fait un bon retour. On espère pas forcément d’avoir des milliers de vues mais c’est cool.

M: Est-ce que vous avez déjà des plans futurs, pour cet EP et après ?

E: J’t’avoue que perso, je pense pas qu’on va clipper de nouveau, c’est pas le but. J’aimerai bien faire vivre l’EP, faire des scènes, on a déjà fait une radio, on a des petits trucs de prévu…

K: Comme des interviews d’ailleurs, c’est un plaisir. Là on est plus dans le côté partage,  l’œuvre pour nous, elle est finie.

E: C’est ça, on a déjà fini le bail. Après, on attend une prod d’un mec. J’aimerai bien faire un feat avec un mec qui est chaud. Pour l’instant, on va plus essayer de faire vivre le truc que de faire plein de sons, s’éparpiller, tu vois. On peut pas te dire qu’on va refaire un projet bientôt, on sais pas trop. Tu vois, certains disent qu’il faut sortir des projets tous les 6 mois, c’est des conneries. Faut sortir un truc quand il est muri. On a pas encore réfléchi. après j’aimerai continuer ensemble, même si quand j’suis solo, ça permet de savoir où j’en suis.

M: Impec, l’interview arrive à sa fin, si vous avez des trucs à ajouter ?

E: Et toi Geoffrey/ Kritter, on a pas eu ton avis final, sur la suite ?

K: Ben je sais pas trop, j’avais pas mal de projets avec des gars quand j’ai débuté le rap. J’pense que j’vais essayer de concrétiser tout ça surtout avec un beatmaker et un MC du coin. Après, j’ai pas eu encore l’envie de faire des trucs tout seul. Pour moi le rap, c’est du partage.

Aurore Story est en écoute et en téléchargement gratuit sur Haute Culture.

Bilan part.2: WHAT A YEAR TO BE ALIVE

Reprise de mon bilan de l’année 2015 rap avec un peu de retard.

Le stakhanoviste de 2015: Future.
En 2015, la ville d’Atlanta a encore dominé le rap américain avec sa trap music (je vous conseille les documentaires de Noisey sur le sujet). Entre l’explosion de Young Thug (je me répète) qui a signé l’événement avec son faux premier album/ mixtape, Barter 6, les chants de Rich Homie Quan  qui résonnent dans la ville ou le flow ensorcelant de Bankroll Fresh; Atlanta prouve chaque année son incroyable vivier de rappeurs.

Pourtant le véritable fer de lance du rap d’Atlanta et ce depuis des années, c’est Future. Depuis son irruption en 2011 dans le game avec Tony Montana, le rappeur a bouleversé le rap américain. Il a imposé son rap sous auto-tune en ajoutant ses codes street dans de nombreuses mixtapes, collaborations (dont une avec le trap’s master, Gucci Mane). Son ascension est alors fulgurante; Future apparaît sur plusieurs gros hit, des bangers, souvent pour faire le refrain et accessoirement voler la vedette au rappeur qui l’avait invité (coucou Ace Hood). Pour atteindre les sommets, en 2014, il sort un album en major annoncé en grande pompe: Honest. Ce qui devait lui permettre d’atteindre le statut de pop star est un semi-échec commercial et artistique. En ajoutant une rupture amoureuse avec la chanteuse, Ciara, l’artiste est au plus bas. Future s’enferme dans les studios pour faire ce qu’il sait faire de mieux, de la musique.

Ainsi depuis la sortie de Monster fin 2014 (que j’ai découverte en 2015), Future enchaîne avec Beast Mode, 56 Nights et DS2. S’entourant des grosses pointures de la production d’Atlanta (Zaytoven, Southside et Metro Boomin), Future nourrit sa musique des événements qui marquent sa vie. Sa rupture avec Ciara, l’incarcération de DJ Esco sur le projet 56 Nights, et la mort de ses proches inspirent ses storytellings. 

La sortie de son troisième album, DS2 (Dirty Sprite 2) au milieu de l’été, peut être vue comme le chef d’oeuvre de son année. Il dévoile un homme torturé qui parle sans arrêt de sa consommation de drogue en soirée plus pour combler un vide que pour s’ambiancer. Monster le prédisait, Future est devenu un monstre qui comme les vampires, sirote son propre élixir, le syrup ou purple drank. Cette drogue, popularisé par les rappeurs du Sud des Etats-Unis, est une boisson qui mélange du sirop de codéine dans du soda comme le Sprite. Celui qui rappait des morceaux triomphants, parlant d’amour comme I Won, Turn of the Lights, dévoile son mal-être, ses névroses qu’il cache derrière les artifices du matérialisme. Future s’est définitivement transformé en une bête blessée, aidé par l’habillage musicale de l’album.

Sur DS2, les productions de Metro Boomin et Southside sont encore plus nerveuses, plus mécaniques s’adaptant à l’image de Future, comme sur I Serve the Bass, où des bruits électroniques qui bourdonnent laissent croire à une invasion d’abeilles. La fusion entre le travail des producteurs et  la voix éraillé de l’artiste atteint presque la perfection sur Blood on the Money où il parle de thèmes chères à la trap music: l’argent sale et la perte de ses proches.

Il a su profiter de la hype de Drake en sortant avec lui une mixtape surprise, What A Time To Be Alive. Au delà de la qualité médiocre du projet, le projet a profité d’un buzz sur internet (le morceau Jumpman) et s’est bien vendue aux Etats-Unis.
Future a survolé l’année comme jamais tout en restant l’artiste que tout le monde s’arrache en featuring et ce même dans le rap français.

L’album rap français: Georgio, Bleu Noir.
Le rap français a aussi été gâté par cette année 2015. Pour mon choix d’album de l’année du côté français, j’aurai pu évoquer les premiers albums de vieux routards du rap français comme JP Manova, Joe Lucazz et même Sameer Ahmad (meilleur album de 2014, découvert en 2015). J’aurai aussi bien pu mentionner l’importance de deux sorties cette année pour les grandes figures du rap français (Kaaris, Booba, Alonzo, Lacrim ou Gradur).

Et puis mon choix s’est tournée vers le premier LP de Georgio car c’est l’album que j’attendais le plus cette année. J’en ai parlé dans un article sur mon blog, et près de trois mois après la sortie de Bleu Noir, je l’écoute régulièrement et je continue à l’apprécier.

Avec son ambiance morose et les thèmes mélancoliques qu’évoque le rappeur, Bleu Noir a accompagnée  mon automne et le début d’hiver. Et puis, avec les attentats qui ont ensanglantés Paris, l’album de Georgio m’a plutôt réconforté. Bleu Noir est d’une humeur triste mais aussi porteur d’espoir.

L’avènement de cette année : PNL.
Pouvait-il en être autrement ? En même temps, si vous n’avez pas entendu parler de PNL, vous avez un peu raté votre année. Le duo de la cité des Tarterêts encore inconnu au début de l’année, a bénéficié d’une couverture médiatique impressionnante pour un groupe de rap, aussi bien dans les médias spécialisés que mainstream. L’unanimité autour du groupe peut paraître louche mais PNL apporte un vent nouveau dans le rap français. Évidemment leur album Le Monde Chico a consacré PNL mais c’est surtout leur EP/mixtape  Que La Famille qui leur a permis de faire sensation dans le rap français.

Déjà les mecs soignent leur communication bien mieux que le Premier Ministre. Sans donner la moindre interview, ils ont réussis à créer l’événement à chaque sortie de leur clip. Comme Ademo l’affirme dans Laisse: «Nos clips méritent le Festival de Cannes», leurs créations visuelles sont très soignées, elle suivent souvent un synopsis précis. Pourtant comme c’est souvent le cas dans le rap français, leur clips vidéo sont tournés dans leurs quartiers mais avec PNL c’est différent. Il n’y a pas vraiment de glorification, c’est simplement une illustration de leur lieu de vie. Et en même temps, ils tournent aussi dans des décors inédits comme la Scampia, à Naples ou l’Islande.Des graphistes se sont même emparés de leur clip pour en faire des détournements amusants. C’est encore une fois, le signe que le groupe suscite un véritable phénomène.

Alors que la trap n’a jamais été autant exploitée en France, PNL propose simplement une nouvelle formule. Si au premier abord, on semble déstabilisé par leur utilisation de l’auto-tune, Ademo et N.O.S réussissent à créer une symbiose entre ces productions aériennes et ce flow hypnotique. Une recette qui semble simple en substance mais qui permet de créer une musique d’ambiance que certains décrivent comme du cloud rap.

PNL n’aborde pourtant pas des thèmes très nouveaux dans le rap français. Mais leur description de vie de dealeur penche vers un message désabusé et terre à terre. Contrairement à d’autres rappeurs français qui se rêvent à écouler des kilos de drogue, à vouloir imiter des grands trafiquants comme El Chapo, PNL n’a pas la même vision. La bicrav apparaît comme une fin en soi, un moyen de subsistance dans un monde de charognards. Certes, ils utilisent une référence archi-utilisé dans le rap français, avec Tony Montana mais ils n’hésitent pas à faire part de leurs regrets sur leur activité tout en espérant un avenir meilleur.

Avec ces descriptions réalistes et endémiques, la musique de PNL c’est aussi la représentation d’une France qui a perdue. Et pourtant, le rap français n’a jamais été aussi gagnant quant il décrit les facettes sombres de son pays. Pourtant si on inscrit PNL comme phénomène de société, le constat est malheureux.

Espérons que 2016 suive les perspectives musicales qui ont fait de 2015, une grande année de rap. Espérons que le meilleur soit à venir.

MehdiWanKenobi.

Bilan part. 1: What A Year To Be Alive

ANNÉE 2015. Année du RAP.

2016 approche, faisons le bilan d’une année exceptionnelle d’un point de vue musicale. J’ai décidé de choisir plusieurs événements marquants ainsi bien dans le rap américain que français qui ont fait mon année:

L’explosion du rappeur, Young Thug tandis que Lil Wayne s’embrouille avec son mentor et producteur, Birdman; la réussite commerciale en indépendant de Demi-Portion; le décès d’A$AP Yams, manageur et ami proche d’A$AP Rocky (RIP); le retour de Lino avec Requiem, album mitigé; Drake qui sort un album surprise en janvier; Kanye West qui ramène ses potes aux BRIT Awards 2015; Gradur qui fait disque d’or pour son premier album, L’Homme au Bob; la fin d’une époque avec la banqueroute de 50 Cent et Jay-Z qui se plante avec sa plateforme de streaming musical, TINDAL; les chorégraphies de Niska (Matuidi Charo); le groupe historique De La Soul qui défonce son opération de crowdfunding en deux jours afin de financer leur nouvel album; Médine qui sort un projet surprise en mars; la magnifique pochette de Mac Tyer, Je Suis Une Légende; le clash Action Bronson/ Ghostface Killah; la nouvelle popstar The Weekend; le succès de Nekfeu  avec son premier album, FEU; la leçon de politesse de Vald avec Bonjour; le tweet qui brisa la carrière de Meek Mill; l’affaire Jul avec son label Liga One Industry (et le magnifique slogan #FREEJUL); le retour de Dragon Ball Super; le décès de Sean P, MC historique de New-York; l’album surprise et exceptionnel de Dr. Dre, Compton; Maître Gims et ses tubes en yaourt; Orelsan et Gringe, les Casseurs Flowters qui se lancent dans des projets audiovisuels (Bloqué, et le film Comment C’est Loin) ; Booba qui fait du zouk; le sixième épisode d’History of Rap de Jimmy Fallon et Justin Timberlake; le troll de Kevin  de la FNAC PariNord; le champion de l’internet Drake avec son clip Hotline Bling); l’ovni du rap français, SCH; les tubes de Fetty Wap; le décès de Sya Styles, DJ et fondateur du groupe marseillais Psy 4 de la Rime; le singe de PNL au Planète Rap de Skyrock; DJ Khaled qui fait le con sur Snapchat et enfin Jul qui défonce le game de la première semaine.

Et la liste des albums que je n’ai pas pu chroniqué mais qui ont accompagné mon année:

Joe Lucazz, No Name; Demi-portion, Dragon Rash; Karlito, Impact; BRAV, Sous France; Ali, Que la Paix soit sur vous; Action Bronson, Mr. Wonderful; Dosseh, Pérestroïka; Kaaris, le Bruit de mon Âme; JP Manova, 19h05; Snoop Dogg, BUSH; Youssoupha, NRGT; Boosie Badazz( ex- Lil Boosie), Touchdown 2 Cause Hell; Lil Durk, My Name Is My Name; Dixième album de Disiz, Rap Machine; The Internet, Ego Death; Vince Staples, Summertime 06′; Travis Scott, Rodeo; Rocca, Bogota Paris; Jay Rock, 90059; Vald, NQNT 2; The Game, the Documentary 2; Oxmo Puccino, Freddie Gibbs;

La superstar de l’année: Kendrick Lamar.
J’aurai pu choisir Drake dans cette catégorie, qui a traversé l’année comme un chef d’orchestre; avec un projet surprise en début d’année, un clash remporté haut la main contre Meek Mill, une mixtape avec Future (on en reparlera) et son clip Hotline Bling qui est devenu un phénomène viral. Mais, selon moi, le vrai phénomène de l’année c’est Kendrick Lamar. Sans surprise, son album To Pimp A Butterfly a beaucoup orienté mon choix et qui a illuminé mon année. Avec des clips de folie, des lives incroyables dans les shows télévisés américains, des apparitions flamboyantes comme sur le dernier album de Dr. Dre et enfin, une récompense obtenue par le Sénat de l’État de Californie, Kendrick Lamar est enfin devenu une superstar du rap.

Revenons un peu à la genèse de son album. Autant vous prévenir, si vous n’avez pas écouté To Pimp A Butterfly, vous avez un peu manqué votre année.

Depuis la sortie en 2012 de good Kid m.a.a.d City, le rappeur de Compton est devenu le nouveau prince du rap et représentant de la West Coast. Après avoir fait une énorme tournée, le monde du rap attendait le nouvel album de Kendrick.

Beaucoup de spéculations prévoyaient cette sortie pour fin 2014 (son live de folie au Colbert Show avait nourrit cette rumeur). Pourtant c’est au début de 2015 que l’album est annoncé comme un véritable événement. Et puis, Kendrick surprend tout le monde en sortant prématurément son album après des risques de fuite sur internet. To Pimp a Butterfly sort le 16 mars peu avant mon anniversaire, en quelque sorte c’était l’un des plus beaux cadeaux que m’offre Kendrick.

On découvre alors un album long, rugueux, avec une multitude de sonorités et d’ambiances proposée mais qui à la première écoute est presque désagréable. Il prend la direction opposée de la tendance actuelle en s’entourant d’un live band mixant le jazz, la nu soul, la funk. C’est presque un véritable bordel auditif au début mais qui a conquit la critique et les auditeurs. Ainsi il bat le record du plus grand nombre d’écoute sur Spotify en une journée. Après avoir digéré l’album, on se met à découvrir toutes les références évoquées de l’intro où il convie Georges Clinton, en passant par Ron Isley, Bilal, Anna Wise, Snoop Dogg et même un dialogue improbable avec Tupac Shakur. L’artiste a su faire appel à une multitude de producteurs, de musiciens pour construire un album gracieux. On y retrouve les stars Pharrell Williams, Boi 1-Da; les fidèles de l’équipe TDE  Sounwase, Terrace Martin; des producteurs californiens comme Rakhi, Knxledge et des musiciens jazzy Thundercat, Robert Glasper, Kamasi Washington tout cela dirigé par le producteur trip hop, Flying Lotus. Avec toute cette équipe, l’album prend une dimension joué, orchestrale, assez rare pour le rap de l’époque. L’album prend une couleur esthétique en rendant hommage aux aînées de la musique afro-américaine tout en s’imposant dans la grande histoire de la Black Music.

Kendrick Lamar a réussi à créer l’événement à chaque sortie de ses clips. Construit comme des court-métrages, il donne aussi une vrai consistance à l’album et surtout ils apparaissent comme des claques visuels. Celui d’Alright mérite selon moi le titre de meilleur clip de cette année.

Il est important de rappeler le contexte social américain de la sortie de l’album, à l’heure où de nombreux Noirs américains sont victimes de bavures policières.
Kendrick évoque la condition des Noirs au sein de la société américaine. Le rôle de l’artiste afro-américain, les remises en question du rappeur, évoque sa place d’afro-américain qu’il crie dans l’interlude qui rythme l’album. Ce qui change aussi avec ce nouvel album, c’est l’interprétation du rappeur presque théâtrale comme le démontre son interprétation lors du live au Colbert Show en septembre. Il change de voix, de mise en scène, au fil des morceaux il assemble une pièce de théâtre. Drake a beau être devenu un phénomène pop, Kendrick garde le trône du rap !
Kendrick Lamar, To Pimp A Butterfly, Top Dawg Entertainment/ Aftermath Entertainment/ Interscope Records, 2015.

L’espoir de l’année: Rufyo et son producteur Frensh Kyd.
Au cours de cette riche année, j’ai pu découvrir de nombreux artistes aussi bien dans le rap américain que français. La découverte la plus marquante est celle de Rufyo avec son EP 00h92. Grâce à site de référence l’Abcdrduson, j’ai découvert ce projet très personnel où l’ambiance nocturne est omniprésente. Rufyo évoque ses ballades nocturnes dans le quartier de La Défense où les tours semblent impossible à dépasser.  Le producteur Frensh Kyd est aussi la pierre angulaire du projet, ils sont indissociables. Ils créent ensemble un rêve éveillé très agréable à l’écoute.

On sent aussi l’influence de Drake (décidément) dans l’ambiance aérienne, les thèmes qui évoque la gente féminine et les déceptions amoureuses.

Rufyo et son producteur Frensh Kyd, jouent aussi beaucoup sur cette image mystérieuse, ils ne dévoilent pas leur visage, même sur les réseaux sociaux. Ils dévoilent une  pochette écrit en braille. Psychédélique.

Ces derniers temps, le rap est dominé par une vague triomphante avec des acteurs audacieux. Avec Rufyo, le défaitiste n’est jamais loin mais il peut aussi retrouver le sourire avec l’irruption d’une samba brésilienne. Avec ce premier projet, Rufyo et Frensh Kyd sont décidés à montrer leur histoire au rap français

Vous pouvez choper l’EP, il est en écoute et téléchargement libre sur sa page Soundcloud

4 Décembre : le Choc des Titans du rap français

Le rap français a créé l’événement le 4 décembre dernier avec la parution de quatre albums de poids lourds de l’industrie. Booba, Rohff, Jul et Nekfeu s’affrontait dans les bacs.

i le rap français avait à choisir entre un film d’art et d’essai et un gros blockbuster, il y a de fortes chances que la seconde option soit privilégiée. Pour autant, il choisirait un film pas trop bourrin style Heat avec un gros duel Pacino/De Niro.

Ce 4 décembre, l’affiche dans les bacs réunissaient quatre acteurs bankables du rap français. Booba et Rohff occupent les devant de la scène du rap français depuis plus de vingt ans et sont au cœur d’un clash pathétique depuis près de dix ans. Ils ont sorti leurs 8e albums. Deux rappeurs issus de la jeune génération et super populaires à savoir le phénomène Jul et Nekfeu, sortaient aussi leur projet (mbon il y avait aussi l’album de Joeystarr et Nathy, Caribbean Dandy). Ces sorties respectives avaient l’allure d’une compétition commerciale en attendant les résultats de la «première semaine». C’est devenu presque une attraction pour le milieu du rap français, qui cherche à critiquer les chiffres. Dans cette période de vache maigre pour l’industrie du disque (ce qui n’empêche pas Universal de bien grailler), cette compétition de bac à sable déchaîne aussi bien les passions sur les réseaux sociaux chez les auditeurs que chez les acteurs du milieu.

Premièrement, l’une des sensations de ce vendredi 9 décembre, c’est la sortie du 8e album de Booba, Nero Nemesis. Ce titre énigmatique en grec ancien a plusieurs significations. Il désigne autant la déesse grecque de la justice distributrice et de la vengeance que le nom donné à la couleur noire matte chez Lamborghini. Cette imagerie antique est aussi associée avec une pochette plutôt réussie. Je pourrai passer des heures à disserter sur Booba tant c’est une figure autant controversée qu’admirée. On ne peut constater que depuis plus de vingt ans, il est la place forte du rap français, c’est indéniable.
Alors déjà rappelons que l’album avait fuité le 30 novembre sur le web mais étant un auditeur respectueux d’Hadopi, j’ai préféré attendre le jour annoncé pour écouter l’album (bon en vérité, j’ai pas réussi à choper un bon lien). Sachez que depuis son album Lunatic en 2010, j’avais vraiment du mal à écouter un album entier de Kopp, alors que nous a t-il concocté ?
Comparé à son précédent opus, publié plus tôt en mars, D.U.C, qui était à quelques chansons près, pas terrible, Nero Nemesis a une ambiance plus sombre, presque sans single, B2o a plus envie de rapper que de lâcher des morceaux chantés (à part sa chansons zouk, Validé). On sent vraiment un Booba surmotivé, multipliant les flows, capable de nous impressionner avec des phases métaphoriques puis de saluer sa maman toute en poésie. Il relate son passé tout en construisant sa légende avec des phases comme dans Talion: «J’étais dans le crime en CDI, ratpi et souvent écroué; j’roulais ma weed dans le GTI, Sergio Tachini troué».

4G, c’est un morceau où Booba maîtrise son art dans un rap bête et méchant. Avec cet album, Booba retrouve plus de spontanéité que sur ses dernières créations. Les quelques invités sur Nero Nemesis représentent la nouvelle génération proche du DUC et ne manquera pas de faire parler d’eux. Que ce soit Siboy, rappeur cagoulé ou Damso, rappeur bruxellois qui rappe sur Pinocchio un couplet d’anthologie.
Sur 92i Veyron, Booba construit toujours sa légende en disant «les vainqueurs l’écrivent, les vaincus racontent l’histoire». De là à se considérer comme le vainqueur du rap français, il n’y a qu’un pas. Bre-som.
Booba, Nero Nemesis, Tallac Records, 2015

Face à son ennemi juré (le rap c’est pas le monde des bisounours), Rohff sortait aussi son 8ème album. Le rappeur du 94 a marqué mon adolescence et ma découverte du rap avec ses doubles albums, ses morceaux classiques comme Qui est l’ExempleLe Son Qui Tue, 94, La Puissance, En Mode, La HassRegretté, K-Sos For life ou Testament. Autant d’exemples qui montrent que Rohff dominait le rap français dans les années 2000. Depuis son dernier classique Le Code de l’Horreur sorti en 2008 j’avais un peu lâché sa musique. Néanmoins en tant que bouzillé du rap, j’avais suivi son actu. En 2013, il avait sorti un double CD et avait surtout parler de lui pour ces affaires judiciaires. Cette année sonne comme le retour de Ro2f  à la musique. Même s’il n’a rien à prouver sur ces qualités  avec cet album, j’ai l’impression de redécouvrir le rappeur avec ce projet. On retrouve tout ce qui le définit à savoir:  sa fierté, son esprit de compétiteur et son côté mec de cité authentique.

Ce morceau définit bien l’état d’esprit de Rohff qui s’est toujours considéré comme un soldat du micro. Prêt pour la guerre, il multiplie les piques adressées à Booba. Cet esprit déterminé, on le retrouve avec son morceau avec Lacrim, La crème de la crème dans cette connexion 9.4. Avec ces sirènes assourdissantes, l’atmosphère devient plus lourde, Rohff et Lacrim font dans la démonstration de force. Dans cet album le rappeur dégaine une série de morceaux de ce type avec Trop gang, Vitry sur Haine ou bien Le coût du siècle avec une variété de flow assez folle.
Niveau musique, Rohff va à l’encontre de la tendance  trap music qui domine le rap français et il n’hésite pas à le critiquer. Il revient à des influences plus californiennes comme dans son ancien album La Fierté des Nôtres. Les productions sont inspirées par DJ Mustard qui a remis au goût du jour le son d’Oakland.
Le problème de cette album, c’est qu’il est incohérent. Au delà de la prestation solide de Rohff, le rappeur applique des vieilles recettes comme le single Bijou avec Awa Imadi, qu’on croirait tout droit sorti des 2000’s. Cet album est certes trop long, incohérent musicalement mais plutôt agréable. É-waa.
Rohff, Le Rohff Game, Millenium/ Barclay, 2015

Nekfeu, c’est l’un des rappeurs parisiens du moment, adoré par les médias et symbole d’une nouvelle génération. Il publie la réédition de son premier album FEU. Depuis son éclosion en 2011 avec les battles Rap Contendeur et son groupe 1995, Nekfeu a parcouru du chemin. Avec ces différents groupes: 1995, L’Entourage S-Crew, il a enchaîné les projets qui ont connu un certain succès. Cette année, son premier album, FEU, on fini d’installer Nekfeu comme le chouchou d’une partie du public et surtout des médias généraliste.
Il faut dire que son projet est de qualité. Nekfeu sait très bien rapper, il varie son style, se livre plus sur des morceaux comme Mon Âme, Risibles Amours. Sur sa superbe intro  Martin Eden, il prouve qu’il est l’un des rappeurs les plus techniques du moment. Sur cette album, on a l’impression que Nekfeu a absorbé beaucoup d’influence comme une éponge afin de créer sa propre synthèse. Le problème c’est qu’avec toute ses références, le rappeur souffre d’un manque de charisme tout au long du disque.
Concrètement je soupçonne cette réédition d’être un coup marketing avec des titres plutôt moyens excepté Princesse avec le super Nemir en refrain. C’est aussi l’occasion d’entendre son groupe 1995, réuni sur deux titres.

J’aurais pu choisir le morceau 7:77 qui bénéficie d’un superbe clip mais Le bruit de ma ville est très symbolique de l’univers au rappeur et son attachement à Paris. Il permet de mettre en avant le groupe, Phénomène Bizness signé sur son label Seine Zoo. C’est l’une des seules réjouissances de la réédition.
Nekfeu, FEU, Seine Zoo/ Polydor, 2015.

Depuis son explosion sur internet en 2013, JUL a littéralement explosé les internet et conquis une partie du public. Comme Nekfeu, le mec est très populaire mais renier par les médias généralistes. Surtout JUL est un rappeur extrêmement productif, en deux ans il vient de publier son 5e album, My World. Il tourne à  deux projets par jour avec une formule simple mais diablement efficace: l’utilisation de l’auto-tune pour pousser la mélodie sur des beats qu’il confectionne tous seul qui ressemblerait presque à de la zumba. Sa musique séduit un public jeune, et tournent dans les boîtes provinciales et dans toutes les chichas de France. Il nique tout dans les bacs avec son label, Liga One Industry, remportant facilement les certifications platine (100000 ventes) et or (50000 ventes) à chaque sortie. Pourtant, l’histoire d’amour avec son désormais ancien label quand il a révélé cet été être en conflit avec eux. Désormais il  a créé son propre label intitulé simplement D’Or et de Platine.
Personnellement ma découverte du rappeur a été déconcertante. Lorsque j’ai écouté Dans ma Paranoïa la première fois, j’ai du arrêter l’écoute à 1min26 du morceau avec les oreilles qui saignaient. Autant dire que pour la chronique de son anouveau album, j’ai du prendre sur moi. Même si le mec arrive à nous ambiancer, je reste hermétique à sa musique.

C’est la deuxième fois après Normal que le duo marseillais, Alonzo et Jul se retrouvent. Pour l’occasion, ils ont trouvé leur meilleure mélodie et leur meilleurs survet’ de foot pour ambiancer toute la cité phocéenne. La musique est aussi l’occasion pour Jul de chasser ses démons depuis la perte de son manager cette année, il parle d’ailleurs régulièrement de l’insomnie qui le ronge. Jul semble prêt à poursuivre son succès pour pas mal d’années. Bon à l’écoute de l’album, on a vraiment l’impression d’avoir le même morceau en boucle Comme D’hab. Cela donne l’impression que la super productivité de JUL lui permet de terminer un album en 2 jours sans s’arrêter. Efficacité.
Jul, My World, D’Or et de Platine Records/ Musicast, 2015

Résultat des courses: C’est bien Jul qui a remporté la compét’ des chiffres. Il a écoulé la première semaine 66394 albums vendus et plus 20000 ventes pour cette deuxième semaine. Booba a suivi avec 35138 exemplaires vendus. Rohff complète le podium avec 20582 albums. Nekfeu n’est pas en reste avec 14247 exemplaires de sa réédition vendus.
Avec ce score incroyable, Jul détrône les vendeurs historiques sont Booba et Rohff en première semaine. Il prouve ainsi qu’il est l’un des plus gros vendeurs rap, faut-il l’interpréter comme le nouveau  roi du rap game ? Je finirais sur ça, rien que pour agacer les puristes !

Revue du rap français automnale

Après les attentats du vendredi 13 novembre qui ont secoués Paris et toute la France, la semaine dernière fut assez spéciale. L’une des conséquences est le report de cet article. Surtout, ces jours qui ont suivis, m’ont permis de prendre encore plus conscience de l’importance de sa famille, ses amis, les gens que l’ont connait de près comme de loin. A partir du chaos, on doit pouvoir réapprendre à dialoguer, à construire ensemble, à vivre.

Voilà simplement quelques mots que j’ai voulu placer en introduction de ma chronique.

Dans cet article, j’ai sélectionné quatre albums sortis entre la fin d’octobre et début novembre que

L’album de Sam’s, Dieu est Grand est parue le 23 octobre 2015. C’est dans les albums de Youssoupha que j’ai découvert ce  rappeur-acteur, originaire de Bordeaux. Tout comme ce dernier, il fait parti du même label, Bomayé Musik. Il a fait plusieurs apparitions sur ces morceaux mais son premier album se faisait attendre.

D’ailleurs, le titre de son album avait été annoncé en 2012, sur l’album de Youss’, Noir Désir, sur le morceau Gestelude:  «On aime se saper chic mais chez nous D&G ça veut dire Dieu est Grand». Ce premier LP est avant tout personnel et introspectif. En effet, comme à l’image de sa pochette (qu’il dévoilé qu’un mois avant la sortie de l’album), Sam’s en profite pour raconter son parcours de vie. Il commence par son enfance dans l’intro, Je suis petit; puis de son échec dans une carrière de footballeur avec F.F.F (Fuck le Foot Frère) ; et des relations sociales avec Les gens deviennent. On passe un bon moment lors de son écoute malgré la longueur de l’album, un problème trop fréquent dans le rap français.

Microbes évoque la jeunesse française qui veut grandir trop vite quitte à se brûler les ailes (le thème n’a pas vraiment changé depuis Petit Frère de IAM, symbole d’une société française figée). Au passage, la production de Cehashi a une forte ressemblance, à celle de Worst Behaviour de Drake.

Sam’s qualifie sa musique comme « rap de vie », Dieu est grand est un album sincère, qui dévoile le puzzle de la vie du rappeur comme le représente l’image de sa pochette. Authentik.
Sam’s, Dieu est Grand, Bomayé Musik, 2015.

 

Le premier album d’Espiiem, Noblesse Oblige. Est un jeune rappeur parisien qui développe depuis quelques années un rap exigeant. Après un mini-album en 2013, Haute Voltige très réussi, Espieem signe son premier album toujours en indépendant qui est sortie le 7 novembre.

Alors qu’en est-il du skeud ? Et bien soulignons d’abord cette superbe production qui donne à l’album une vraie cohérence musicale. Le rappeur a su s’entourer d’une équipe de producteur/beatmakers mené par Astronote, musicien de l’ombre du rap français trop méconnu (le mec a produit un son pour Kendrick Lamar !) L’album alterne entre une musique chiadée, suave mais aussi inquiétante comme sur 777. Espieem a cette qualité d’être un rappeur technique, au flow rapide et la voix caverneuse. Sur cette album, il n’hésite pas à chanter, grosse tendance dans le rap français actuel.

Le morceau éponyme, Noblesse Oblige démontre toute la diversité de son art et la qualité de son flow. Il peut se vanter aussi d’être l’un des meilleurs paroliers de sa génération avec des textes inspirés de sagesse, de spiritualité et de philosophie lui qu’il a étudié à l’Université Panthéon-Sorbonne.

Bon je n’ai pas été forcément convaincu des collaborations excepté Deen Burbigo dans Suprématie. Surtout celui avec K.E.N.T sur Money, qui délivre un refrain fou où les deux artistes critiquent l’avidité et le désir d’argent par tous les moyens. Beaucoup de maturité dégage de cette album, Espiiem se démarque vraiment avec son charisme. Noble.
Espiiem, Noblesse Oblige, Orfèvre Label, 2015.

 

Zdededex: c’est le retour tatoué de Seth Gueko avec Professeur Punchline. Depuis une dizaine d’année, Seth Gueko est ce rappeur qui mélange diverses influences linguistiques comme l’argot, le manouche, le langage de rue, des néologismes et surtout connu pour ses punchlines hardcore. Il se distingue avec des phrases percutantes, des rimes lacérées, souvent imagées, des jeux de mots et des références cinématographiques. Pour comprendre un peu le personnage que représente Seth Gueko, il faut mater la pochette de son album. Ce portrait de Seth arborant tatouages et chevalières est juste impressionnante. Son univers se développe aussi dans ces clips comme dans Val d’Oseille s’inspirer par du nouveau Mad Max que de la série, Walking Death.

Le crédo de ce quatrième album solo, c’est donc un festival de punchline où Seth nous en met plein la gueule ! Prenez un morceau comme Delicatessen où il débute avec ces vers fleuris: «Tu t’prends en photo avec des poucaves #Selfilsdepute; Quand tu m’parles, retires ta main d’ma nuque petits fils d’eunuques».

Le rappeur n’oublie pas de partager en conviant plusieurs rappeurs du moment. Ainsi, n retrouve aussi bien des mecs de la nouvelle génération (Gradur, Niska, Joke, Sadek, Nisa) que des valeurs sûrs comme Lacrim ou Alkpote. D’ailleurs je trouve pas les featurings très réussis, on a l’impression que Seth s’adapte à ses invités alors qu’il devrait les détruire sur la prod. Seth Gueko sait aussi se faire introspectif lorsqu’il révèle il révèle sa spiritualité dans les Démons de Jésus. Bon passons aussi sur le morceau spot de pub sur son bar qu’il a ouvert en Thaïlande, nouvelle terre d’accueil du rappeur, c’est un véritable foutage de gueule.

Et surtout, j’ai adoré Titi Parisien, hommage à la ville lumière et son côté underground qui se démarque de l’ambiance musicale générale du l’abum.

Pas de révolution pour ce nouvel album mais avec la profusion de punchlines, il nous régale et on se marre bien. Seth Gueko affirme qu’il voit le rap comme une continuité du punk, une musique marginale et c’est terrible.
Seth Gueko, Professeur Punchline, Believe Recording/ Neochrome, 2015.

 

Et pour finir cette article (trop long), l’album d’Abd Al Malik, Scarifications. Pas besoin de faire les présentations de cette artiste qui depuis Gilbratar, s’est imposé dans la musique française avec son spoken word (c’est plus classe que slam quand même). Pour son cinquième album, Abd Al Malik est en collaboration avec Laurent Garnier, musicien électro et qui occupe le rôle de directeur artistique du projet. Cette album dégage une véritable alchimie avec cette ambiance techno, organique, futuriste même. J’ai vraiment été épaté par ce projet autant par sa qualité musicale que par le «flow de taré» de l’artiste. On retrouve le besoin d’ego trip au sens de l’affirmation («lyricalement j’suis un strémon» ou le morceau Roi de France); de parler de l’amour de sa femme et  sa muse, Wallen, les références littéraires et  au rap. Même pas besoin de parler des thèmes abordés par l’artiste, il y a une esthétique folle qui émane de ce projet, j’ai eu l’impression de vivre un voyage musicale.
Et puis il y a cet hommage à Daniel Darc, artiste disparu en 2013 avec un texte superbe, où l’espoir est broyé dans la noirceur tel un poème de Baudelaire: «Les frères disent en langage des signes: « donne-moi un héros ou la rue s’ra mon héroïne »».

Vraiment j’ai surkiffé cette album, Abd Al Malik et Laurent Garnier (et Bilal, producteur attitré du rappeur), ont préparé le voyage vers une nouvelle galaxie. Turfu.
Abd Al Malik, Scarifications, PIAS Le label, 2015