Au menu des 22 albums du 27

à la UneAu menu des 22 albums du 27

Le vendredi 27 novembre fut la journée la plus chargée dans le rap français avec la sortie de 22 projets. Face à cet événement, il fallait être à la hauteur avec un nouveau défi. Écouter chacun des différents albums, EP et mixtapes, pour un total de 11 heures et 2 minute. Chronique sur le feu.

Depuis que l’industrie musicale a déterminé le vendredi comme jour des sorties, un rituel a vu le jour chez les aficionados de rap français. Chaque jeudi soir, les auditeurs attendent l’heure fatidique, minuit pile, pour se jeter sur les plateformes de streaming afin d’écouter les nouveautés. Ensuite, le but est de donner son avis, à chaud, sur les réseaux sociaux et de montrer son appétence à livrer des analyses pointues sur le rap français. Cela donne des phrases du style :

« Putain la frappe, c’est l’album de l’année, de la décennie, bande de fous »

« J’veux rien savoir, c’est le meilleur rappeur du monde voir de l’univers »

Les joies de la démocratie et des réseaux sociaux. Bien entendu, moi aussi, je suis passé par là. Mais au final, comme souvent sur les réseaux sociaux, on se rend compte que son avis est juste comme une goutte d’eau dans un océan. Et surtout que son avis à chaud est aussi crédible que Donald Trump qui annonce qu’il a gagné les dernières élections américaines. Malgré le contexte de boulimie de sorties musicales, rien ne sert de courir, il faut aussi savoir apprécier un nouvel album sur le long cours pour le juger avec plus de distance. D’ailleurs, mon philosophe favori résume parfaitement cette idée du temps :

Thierry Henry, la légende

Néanmoins, le vendredi 27 novembre est marqué par un un phénomène inédit. 22 projets – c’est comme ça qu’on parle des disques dans le rap français – sortent sur les plateformes de streaming, établissant un nouveau record pour le rap français.

Les différents projets du 27 novembre recensés par Genius

Cet embouteillage de sorties s’explique notamment par la crise sanitaire qui a bousculé les calendriers culturels. A en croire les commentateurs à la petite semaine, cette profusion de projets montrerait aussi la vitalité de l’industrie rap en France. Il montre surtout une scène surchargée.

Au lieu de faire ma sélection habituelle selon mes préférences, j’ai décidé de donner la chance à toutes les nouveautés. Pour cela je me suis lancé dans l’écoute de l’intégralité des 22 albums, E.P et mixtapes du jour, pour un total d’écoute de 11 heures et 2 minute. Voici mon retour d’expérience.

Entre premier essai, EP surprises et artistes underground

Premier obstacle : par quoi commencer ? Faut-il suivre la logique d’écouter en priorité les sorties les plus attendues ou par ordre alphabétique. Pour éviter de se compliquer la vie, je commence avec le projet le plus court.

Il s’agit de celui d’A Little Rooster & Waltmann, Oasis (3 titres, 7 minutes). Ce mini E.P réunit deux membres de l’écurie 75e Session, le producteur A Little Rooster et le rappeur, Waltmann. Même si je suis plutôt fan de la 75e Session, représentée par Népal (RIP), je n’avais jamais entendu parler de lui. D’ailleurs, sa renommée est plutôt discrète car il ne compte que 324 fans sur Spotify.

Pour cette première écoute, c’est plutôt une bonne surprise. Les productions sont de qualité et Waltmann avec sa voix blasée et un flow arrogant, passe plutôt bien. Ce court projet ne déroge pas à l’identité du crew parisien avec un rap sombre et introspectif. Pour la première étape de cette expérience, c’est une agréable surprise, espérons que l’on continue sur cette lancée.

On enchaîne avec le nouvel E.P de 7 Jaws, Dalton (4 titres, 10 minutes). 7 Jaws est une bonne représentation du rappeur made in 2020. Autant à l’aise techniquement que capable de chanter, l’artiste mise aussi sur un charisme indéniable, malgré une dégaine plus proche d’un punk à chien que celle d’un rappeur. Après une bonne mixtape sortie en début d’année (RAGE), en collaboration avec le beatmaker Seezy, le rappeur originaire de Sarrebourg (Alsace), continue sur sa lancée avec un court projet de 4 titres.

Contrairement à sa précédente mixtape , ce projet est beaucoup moins marquant. Malgré de bonnes productions, toujours sous le contrôle de Seezy, l’écoute se révèle être banale, presque anecdotique dans la discographie de 7 Jaws. On se croirait devant un match Strasbourg- Angers en Ligue 1.

Le titre en plus : « Ça m’régale » à la production très euro-dance. Une tendance club dans le rap français qui se confirme depuis le succès de « Khapta ». La différence avec ce titre de 7 Jaws, c’est que se rapproche plus d’une soirée électro dans une boîte select, qu’une soirée dans une chicha aux néons fluorescents. Un track qui risque d’avoir un sacré effet en live, quand le Covid nous aura lâché les sneakers et que les salles réouvriront.

On passe à l’unique rappeuse du lot : Le Juiice et la mixtape, Jeune CEO (10 titres, 26 min). Et oui, le rap français n’échappe pas aussi à la problématique de parité, même si ces dernières années, de nombreuses rappeuses se sont démarquées, en montrant qu’elles pouvaient être au micro l’égales deshommes. Et Le Juiice fait partie des plus talentueuses. Avec une démarche américaine et une forte personnalité, elle m’avait fait grande impression lors de sa première mixtape, TRAP MAMA. Dix mois après cette sortie, elle sort Jeune CEO. Symbole de sa montée en puissance, sur ce projet est convié des noms de premier choix : Jok’Air, Stavo de 13 Block et Meryl, rappeuse très talentueuse.

Malgré ce beau casting, le projet manque d’originalité, les morceaux s’enchaînent sans grand impact. Même le feat avec Stavo, alléchant sur le papier, tombe un peu à plat. Le Juiice garde cette attitude trap avec un égotrip débridé mais à la fin de l’écoute, la déception domine. Il faudra attendre un long format pour la placer comme la Trap Boss du rap français.

Le titre en plus : « Jeune CEO ». Si tout n’est pas à jeter dans ce projet, on peut retenir ce titre. Avec « Jeune CEO » , Le Juiice nous montre toute la palette de son rap : une prod trap efficace, un flow direct importé des US, son statut d’entrepreneuse mis en avant dans les paroles et un visuel où son attitude gang et sa féminité sont assumées à 200 %. Un savant mélange qui pourrait bien permettre à Le Juiice de devenir la Megan Thee Stallion française.

Après le 94 façon Atlanta, on débarque à Marseille avec le nouvel E.P de MOH, Vatos (6 titres, 16 min). Présent sur la scène locale depuis une dizaine d’année, MOH a connu une petite hype en 2015-2016, avec son premier album L’art des mots, sans parvenir à confirmer. Quatre ans après cet opus et une participation à la super compilation, 13 Organisé, le voilà de retour. Comparer au rap de Le Juiice, son rap a une forme plus classique. Que ce soit dans sa manière de rapper, de parler de la rue, ou le seul feat du projet, Sultan – le morceau s’appelle « Symphonie des Rafales » – on se croirait revivre en 2012. Derrière cette nostalgie, MOH montre qu’il a une belle plume. Vatos respire le rap marseillais à travers ses histoires de rue, qui transpire l’authenticité. Le projet est d’ailleurs sorti sur le mythique label 13e Art Music, qui a hébergé Keny Arkana, Lacrim période phocéenne et maintenant Naps.

On reste à Marseille avec le premier album studio de la Guirri Mafia intitulé Clan Ötomo (15 titres, 51 min). J’avais découvert le groupe composé de Djiha, Solda, Gravou et Malka, quatre mecs des quartiers Nord grâce à un documentaire de Vice, en 2017. Dans ce document vidéo, la Guirri Mafia incarnait à merveille l’identité marseillaise : une forte personnalité de ses acteurs, une énergie folle, des looks incroyables et une notoriété unique dans leur ville. Après plusieurs années d’attente, ils dévoilent enfin leur premier album studio.


Sur cet album, on sent une maturité plus fortes dans leur musique tout en gardant leur réputation street. L’ambiance y est moins énervé que leur premiers sons. D’ailleurs, l’opus est plutôt bien construit avec une variété des ambiances. Capable aussi bien de cracher la foudre que de livrer des titres festifs avec des BPM accélérés, la Guirri Mafia est un parfait symbole du rap made in Marseille.

Le titre en plus : « Comme un dream ». En plus de la collaboration avec SCH, toujours au top de sa forme, le morceau se démarque par sa vibe et les paroles crues des membres du groupe.

On ne lâche pas le rythme et on passe au projet suivant , celui d’Elh Khmer, Rescapé (7 titres, 21 minutes). Lorsqu’on se réfère à la définition du mot « rescapé » dans le dictionnaire, on peut lire : « Qui est sorti sain et sauf d’un danger, d’une catastrophe, d’un sinistre« . C’est un peu dans cet état qu’on fini avec l’écoute du nouveau projet d’Elh Khmer. Trêve de plaisanterie, malgré une qualité disons passable, c’est sûrement le meilleur des trois projets du rappeur de Boulogne après son départ du groupe 4000 Gang. Mais si, Elh Kmer a délaissé son flow nerveux et violent, il s’est tourné vers des mélodies plus génériques. Les tentatives UK drill sont plutôt pas mal, mais c’est loin d’être la folie pour autant.

On continue à s’intéresser aux rappeurs moins exposés avec le projet collaboratif entre Double Zulu et Just Music Beats. Ensemble, ils livrent l’E.P, Ladder Match (E.P, 7 titres, 19 min). C’est clairement une collab’ alléchante, entre un excellent kickeur et un duo de producteurs marseillais, reconnus pour leur style boom-bap 2.0. Après le projet surprise avec Akhenaton, sorti lors du premier confinement, Just Music Beats continuent son grand chelem.

Au menu du E.P : 20 minutes de pur rap, des prods délicieuses, des samples découpés au sabre et une super performance de Double Zulu toujours à la recherche de la rime parfaite comme une quête ultime. Un projet qui risque fort de tourner en boucle dans mes écouteurs.

Le titre en plus : « Triple threat ». On a le droit à un véritable festival lyrical avec deux autres senseï de la rime, Perso et Ron Brice, sur une production qu’on croirait sorti des rues de New-York. Une certaine esthétique qui plaira davantage aux connaisseurs qu’au grand public.

Toujours dans la scène underground, on se penche sur RAS et son projet les Princes de la drill. Depuis le passage de l’étoile filante Pop Smoke (RIP) et son hit « Dior », le rap français s’est lancé à corps perdu dans la UK drill. Pourtant, il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir maîtriser ce style de rap venu des ghettos de Chicago et qui a traversé l’Atlantique pour être utilliser par les rappeur londoniens. Les prods très saccadées sont si particulier à maîtriser et RAS ne fait pas partie de ce panel. Souvent off-beat, les morceaux tombent à plat. Tout de même, on note la présence de bons représentants de la scène drill à la française (Ashe 22, Tooki, Norsace Berlusconi et l’homme de l’année, Freeze Corleone).

Le titre en plus : « LPLD ». Sélectionné grâce à la présence de Freeze Corleone et Norsacce Berlusconi sur le morceau. Cette année, Freeze a transformé tout ce qu’il touchait en or, mais cette fois-ci, c’est le couplet de Norsacce Berlusconi qui fait plus grande impression. D’ailleurs, je vous conseille vivement de vous pencher sur sa discographie. Si on retient plus le couplet des invités, ça montre bien la sensation laissé par le projet. Next.

Voici le dernier E.P de la journée, celui de TNS, Diagnostic (E.P, 7 titres, 23 min). A part pas grande chose à retenir du disque, on note tout de même la présence de Colonel Reyel. Mais si, rappelez-vous, ce chanteur qui occupait les charts aux débuts des années 2010 avec des chansons lascives et un hymne anti-IVG « Aurélie »… Pas sûr que de la plus-value, vite passons à autre chose.

Les blockbusters du jour

On passe maintenant aux opus les plus attendus de cette journée. En premier, c’est BLO II de 13 Block (19 titres, 1h). Après le succès critique et commercial de leur premier album, BLO sorti en avril 2019, 13 Block est attendu au tournant. J’avoue que l’annonce d’une suite donnée à BLO ne m’avait pas vraiment emballé. Car, sur cette opus, le groupe a un peu délaissé le son trap froid de la mixtape Triple S, pour des chansons plus grands publics avec des plus de mélodies. Voir que « Fuck le 17 » devienne le morceau préféré des élèves d’école de commerce, pour s’encanailler, m’avait troublé. Enfin, mon expérience du rap français m’a appris à me méfier des rappeurs qui donnent une suite immédiate à un album à succès. J’avais donc pris le soin de ne rien écouter des premiers extraits du disque, ni regarder leurs derniers clips. Cette écoute allait donc être une vrai découverte.

Pour soigner l’événement, 13 Block a vu les choses en grand. Ils ont réuni une super équipe de producteurs (Junioralaprod, Heazy Lee, Chichi 2031, Kore, SHABZBEATZ) et une liste d’invités longue, comme une kichta avec Zola, Maes, Niska, SCH, PLK. Un casting impressionnant mais devenu banal tant les mêmes rappeurs se retrouvent sur les mêmes albums.

Pour autant, l’écoute de BLO II se trouve être une réussite. Dès l’intro phénoménale « les dodannes », on sent que l’on va vivre un grand moment. Sur cet album, le groupe a misé sur une couleur plus rap, comparé au premier volume. Même si les ambiances varient, on est résolument tourné vers le sombre, comme le démontre leur super pochette et leur dernier clip « Babi », à la mélodie entêtante.

L’autre chose à retenir de cet album, c’est le rôle prépondérant pris par Stavo. Dès l’intro, il marque l’esprit avec sa manière d’écrire si particulière et ces phases percutantes.

« Dans le ghetto, les gentils souffrent, et les vrais subissent, résistent ».

Stavo dans « Les dodanes ».

Cette montée en puissance efface un peu les performances de ses collègues. D’ailleurs, à l’écoute de l’album, on a l’impression que le collectif est moins fort. Que ce soit Zed, Zefor OldPee et Stavo, chacun semble rapper dans son coin, derrière la bannière 13 Block. Une configuration qui rappelle, toute proportion gardée, celle du deuxième album du Wu-Tang Clan, Forever. J’explique le parallèle.

En 1997, le Wu-Tang atteint un niveau de popularité inégalé. Chaque sortie d’un membre du Wu devient une réussite critique et commerciale. Forever sort pour sceller leur apogée, tout en annonçant leur déclin. Certes, 13 Block ne connaît pas le même raz de marée commerciale que le crew mythique de Staten Island, mais on peut y voir des similitudes avec BLO II qui semble être à un dernier tour d’honneur avant la poursuite des carrières solos de chacun. Seul l’avenir nous le dira.

Le titre en plus : « Pavel ». La collaboration entre Stavo et SCH, marquent leur année exceptionnelle dans le rap français. D’un côté, l’ogre sevranais fait une démonstration de son écriture si complexe qu’elle en devient limpide dans nos oreilles. Et de l’autre, le rappeur d’Aubagne est plus diabolique que jamais. Monstrueux.

Restons dans le 93 avec Dinos et Stamina, (14 titres, 45min). Est-ce qu’avec ce troisième disque en trois ans, Dinos a-t-il signé l’album de la maturité ? Car, depuis son retour en 2018 avec Imany, le rappeur a initié une mue artistique avec une direction de ces débuts très portés sur la punchline.

Après ces deux albums parus et une reconnaissance critique, le rappeur de La Courneuve a pris de l’épaisseur. La première surprise de cet album, c’est la tracklist. Alors qu’il avait annoncé un seul feat avec Laylow, ce petit coquin nous avait caché les autres invités, qui sont DA Uzi, Leto, Nekfeu, Tayc, Zefor et Zixko. Ce casting apporte un vrai plus à l’album, ils permettent à l’artiste de varier les univers.

Sur ce troisième LP, Dinos est plus lumineux, tout en gardant son écriture sincère et poignante. L’artiste donne de l’importance aux textures sonores pour magnifier ces paroles. La qualité des productions de l’album est d’ailleurs impressionnante. L’artiste y est d’autant plus marquant, que la couleur du projet est plus rap que ses précédents. Plus, l’écoute de Stamina, continue, plus, on s’approche du perfect. Seulement, voilà, Dinos s’est cru malin de rajouter une phase foireuse sur les femmes enceintes d’un viol dans le morceau « Prends soin de toi ». Une phrase aussi rédhibitoire après un album quasi sans faute, c’est digne du parcours de Claude dans le dernier Koh Lanta.

Le titre en plus : « 93 Mesures ». Mon choix aurait pu se porter sur les retrouvailles entre Dinos et Nekfeu sur l’excellent « Moins d’un », mais je choisis le morceau qui clôt à merveille l’album. Sur une production de Dolfa et des notes de piano magnifique de Sofiane Pamart, Dinos livre tout simplement l’un de ses meilleur textes. Il se livre plus que jamais. Les paroles, l’interprétation, les questions posées, tout est parfait sur « 93 Mesures ». Un grand morceau.

On passe à la réédition de l’album Synkinisi de Bosh (29 titres, 1h15). Apparemment, le rappeur du 78 a jugé bon de rajouter 9 titres supplémentaires à son album, sorti en mars dernier, qui en comptait déjà 20. Et bien, cela sera sans moi.

C’est la surprise du chef. Annoncé quelques jours avant sa parution, la compilation Echelon Vol. 1 (11 titres, 30 min) du nouveau label de Vald est l’un des événements du jour. En interview, le rappeur a expliqué la conception du projet. Après l’annonce de la création de son label, Echelon, en début d’année, il a reçu des milliers de maquettes d’artistes. Le rappeur et son équipe ont passé l’année à sélectionner les artistes les plus talentueux pour les réunir sur cette mixtape.

Sur Echelon vol. 1, qui aurait pu s’appeler le soulèvement des ienclis, on retrouve bien évidemment Vald et ses amis: Suikon Blaz AD sorti de sa léthargie, le producteur Seezy, SIRIUS et toutes une rangée de nouvelles tête. Avec cette variété d’invités, cela donne un projet très hétéroclite. On passe d’un Vald qui souhaite vraiment réaliser la prophétie d’être perçu comme un rappeur conscient dans dix ans, un Suikon Blaz AD en pleine forme et d’autres rappeurs plus ou moins marquants. Retenons plus le but d’exposer des nouveaux talents que le résultat final.

Le titre en plus : « Bertrand » de Charles Bdl. Parmi tous les rookies, il est l’un des plus marquant. Sur ce morceau, Charles Bdl ressemble au Vald des débuts, avec ces paroles dérangeantes et une interprétation saisissante.

On passe à une nouvelle compilation, celle de Matou, Élixir (15 titres, 44min). Derrière ce nom, se cache un producteur et DJ, à la barbe soyeuse, reconnu dans le rap français. Après plusieurs années dans l’ombre, il se lance avec un projet personnel conviant plusieurs rappeurs. Le casting passe de KIKESA à Biffty, de Chilla à Gros Mo ou encore une association inédite entre Jok’Air et Georgio. Un casting XXL qui permet à l’auditeur de faire son marché.

Pour ma part, j’ai jeté mon dévolu sur les tracks « Flouze » de Chilla, le lumineux « Dérapage » de Gros Mo, la performance pleine de mélancolie d’A2H dans « Quand tu pleures », le retour de Biffty avec « 4 saisons » ou encore le crossover étonnant de Jazzy Jazz et Mister V sur « Eldorado ».

Les projets de rap orthodoxe

Avant de passer à l’écoute de cette sélection d’album, une petite explication du terme « rap orthodoxe » s’impose. Cette appellation, inventée par Akhenaton, désigne la forme de rap classique, qui se rapproche des débuts avec des productions boom-bap et une attache disciplinaire à l’écriture. Ce style moins mis en avant ces dernières années, reste plébiscité par une frange du public. Et pour montrer que cette scène reste bien vivante, de nombreux projets du 27 novembre sont à classer dans cette catégorie.

On commence avec une des figures de proue de cette scène : le vétéran Sinik et son nouvel album, 8e art (14 titres, 55 minutes). Déjà, je dois préciser que le rappeur du 91 n’a jamais été ma tasse de thé, même lors de son prime au milieu des années 2000. Autant vous dire que se farcir un album en entier de Sinik, cela va être une petite épreuve. Pour autant, il faut rester lucide en reconnaissant le réel talent du rappeur dans son écriture.

Pour commencer l’album, Sinik reprend la chanson de Charles Trenet, « Douce France » et dresse un portrait peu reluisant de notre pays. Sans s’attarder sur la description de son huitième album, pas trop apprécier pour ma part, il faut reconnaître que sans révolutionner son style, malgré quelques tentatives à l’auto-tune, Sinik reste un acteur important du rap français. Et qu’après vingt de carrière, on peut livrer un opus cohérent et solide.

On passe à d’autres amoureux de la rime, avec l’album commun de Paco & Swift Guad, Balafrés (14 titres, 37 min). Ce n’est pas la première fois que les deux rappeurs de Montreuil s’associent pour un projet commun. Cette année, ils ont d’ailleurs sorti une mixtape compilant leurs meilleures collaborations. Mais cette sortie est bien un album inédit et produit intégralement par Itam.

A l’écoute de l’opus, on sent une véritable alchimie entre les deux MC’s qui partagent cette voix éraillée et un sens de la formule. Dans ce nouvel album, les deux narvalos sont en très grande forme. Ils décrivent leur quotidien à Montreuil, leur parcours d’écorché vifs, leur joie, leur peine, leur beuverie. Bien entendu, les prod sont résolument boom-bap, sans être passéiste. Un album qui plaira aux auditeurs plus habitués aux soirées pilon-Heineken qu’un showcase de rappeur dans une boîte à la mode.

Le titre en plus : « Matraque & LBD ». Un storytelling où Swift Guad et Paco se personnifient dans les attirails préférés des forces de l’ordre. Une figure de style qui permet aux deux rappeurs de décrire les exactions de la police française. Ce titre coup de poing résonne avec l’actualité des violences commises par les hommes en bleus.

On passe au dernier représentant de cette scène, Melan et son album Angle mort (17 titres, 47 min). Bon, pour ne pas paraître méchant, je ne vais m’épancher dessus, je n’ai tout simplement pas accroché à l’album. Force à ce jeune rappeur toulousain qui bosse en totale indépendance. On passe au suivant.

Les rookies

On commence avec le rookie le plus connu de la liste, Captaine Roshi et son Attaque II (15 titres, 43 min). Déjà, il faut noter la productivité du rappeur, car cette mixtape est son quatrième projet en un an et demi. Mais la quantité ne rime pas forcément à la qualité, alors, voyons voir ce qu’il en est.

Dès le premier morceau, Captaine Roshi nous torpille avec son flow saccadé et son énergie folle sur une prod futuriste. Les morceaux s’enchaînent bien, le rappeur arrive à nous ambiancer, nous faire rire avec ces gimmicks, et à varier les styles même si on reste sur un rap cru et énervé. Ces précédentes sorties manquaient un peu d’épaisseur, Attaque II est son projet le plus complet. Petite déception avec le featuring avec Alpha Wann. On s’attendait à un feu d’artifices, on a eu le droit à un pétard mouillé.

Le titre en plus : « Molotov ». Sur ce morceau, Captaine Roshi canalise son énergie avec une belle mélodie et un texte plus personnel. Le clip réalisé par Bleu Nuit, est à mettre en avant tant l’esthétique noire et sobre y est bien représenté.

Place à Mous-K et son album Tour 23 (18 titres, 58 min). Un artiste dont j’ai eu la chance d’interviewer à l’occasion de la sortie de sa première mixtape. Un an après ce premier essai, le rappeur de Corbeil publie son premier album.

Pour son premier long format, le rappeur est moins fougueux, plus concentré, avec une écriture plus dépouillée. Toujours autant à l’aise au kickage et dans la mélodie, Mous-K a passé un cap. Malheureusement, l’album trop long, compte beaucoup de morceaux dispensables, avec des mélodies génériques, déjà entendu. En gros, si on enlève 7-8 morceaux, on peut obtient un super bloc donnant un album de bonne facture. Mais le streaming, tu connais…

Le titre en plus : « Dark ». Sans doute pas le morceau le plus audacieux de l’album tant Mous-K nous transporte avec une mélodie exceptionnelle. Parfois, il en faut peut pour être heureux.

On passe à Doxx avec son album La fin du monde (11 titres, 24 min). Un artiste en phase avec son époque puisque l’album s’ouvre avec des paroles dépressives : « J’suis tellement triste, c’est comme ça, j’vais crever ».

Pour en savoir plus sur le rappeur, il faut savoir que Doxx est le représentant français du « sad rap« , un genre qui a explosé avec XXXTentacion et toute une lignée de rappeurs dépressifs. Autant, ce style peut donner de super morceaux, mais pour tout un album, je reste sceptique.

Effectivement, il semble que Doxx a connu une rupture douloureuse, car durant toute la durée du disque, il chante sa tristesse et son mal-être. Si certains morceaux sont plutôt efficaces, au bout des vingt minutes d’écoute, on en ressort lessiver. Vite, passons au suivant pour retrouver la joie de vivre.

Sur la liste des projets recensés par Genius, on note le premier album de Toma. Aussi brillant artiste qu’il soit, il ne fait pas vraiment du rap. Du coup, j’ai échangé avec le premier album de Memphis Depay, Heavy Stepper (9 titres, 25 min). Alors oui, le fooballeur rappe en anglais, mais comme le Néerlandais joue à l’Olympique Lyonnais, le projet sort théoriquement en France donc je l’ai rajouté à la liste.

L’album est plutôt bien produit, dans la veine du rap actuel, Memphis Depay est plutôt à l’aise au micro. Mais on va mentir, il reste plus talentueux sur le terrain que celui de la musique.

Le titre en plus : « 2 Corinthians 5:7 ». Avec ce titre très efficace, déjà été révélé en septembre avec un clip royal, Memphis Depay montre qu’il en a sous les crampons lorsqu’il prend le micro. Et le « wesh » lâché dans le refrain est juste magnifique. Rien que pour ce clin d’œil en français, il mérite d’être mis en avant.

Après une journée bien chargée à se taper une dizaine d’heure d’écoute, on peut reconnaître que le rap français est l’une des scènes le plus vivante du monde grâce à sa diversité des acteurs et des styles. A défaut d’avoir été particulièrement marqué par les sorties du 27 novembre, on se console comme ses oreilles comme on peut.

Myth Syzer a beaucoup d’amour à nous donner

Myth Syzer a beaucoup d’amour à nous donner

A moins que vous viviez dans une grotte, impossible vous soyez passer à côté du combat de fête foraine entre Booba et Kaaris qui a agité l’actu la semaine dernière. Maintenant que ces deux zigotos sont en détention provisoire jusqu’en septembre, en attente de leurs procès, on peut enfin passer aux choses sérieuses et revenir à la musique. Deuxième partie de ma série d’été: l’album de Myth Syzer, Bisous.

L’été dernier, le producteur Myth Syzer réunissait le rappeur Ichon, la chanteuse Bonnie Banane et le chanteur Muddy Monk sur son nouveau morceau, Le Code, un tube romantique et sensuel. Dans un visuel volontairement kitsch, le clip mettait en scène différentes scénettes où chaque interprète livrent ses sentiments face caméra. Mais la véritable sensation du morceau étant le refrain chanté par Myth Syzer qui donne à son tube, un air de sérénade moderne.

« Allo mon amour, je suis dans votre cour.
Donne moi le code du bâtiment mon amour »

Le 27 avril dernier paraissait le premier album du producteur, Bisous, moins d’un an après son single à l’eau de rose, point de départ de son projet.

Issu de la nouvelle scène des producteurs français

Avant de rentrer dans les détails du disque, intéressons-nous d’abord à son créateur. Myth Syzer n’est ni rappeur, ni chanteur, mais producteur/ beatmaker. Actif depuis le début des années 2010, il s’est fait connaître grâce à ses compositions pour Joke, Damso, Hamza ou encore Jazzy Bazz. Avec son groupe Bon Gamin, composé des rappeurs Ichon et Loveni, Myth Syzer a définitivement imposé son nom dans le rap game. Si le rap français des années 2010 est aussi excitant, c’est grâce à ces producteurs décomplexés comme Richie Beats, DJ Weedim ou Ikaz Boi (proche de Myth Syzer) qui multiplient les projets, travaillent avec plusieurs artistes et par la même occasion prennent une place plus importante sur le devant de la scène. Ainsi, ils donnent une nouvelle dimension au rôle du producteur dans le rap français parfois rigide.

Après plusieurs projets confidentiels et un E.P avec Ikaz Boi, Cerebral sorti dans le prestigieux label, Bromance, Myth Syzer s’attaque enfin au long format. Contrairement à tous ses autres projets, celui-ci est plus personnel car son auteur l’a crée après une rupture amoureuse. En effet, Myth Syzer a révélé en interview avoir eu « besoin extérioriser ses sentiments en chantant ». Parler d’amour en chantant, voilà une démarche qui est plutôt rare dans le rap français; peu à l’aise quand il s’agit d’évoquer les sentiments amoureux. Pour construire son disque, le producteur s’est nourri d’influences venant de la variété française. Il affirme vouloir que son album devienne le « Première Consultation des années 2010 », en référence au classique de Doc Gynéco.

Que du love

Alors quand est-il du dénommé Bisous? D’abord, le disque est remarquable par sa cohérence et sa construction. Il s’écoute comme une B.O d’un film où Myth Syzer opère comme chef-d’orchestre en conviant un casting quatre étoiles. On retrouve des figures de la nouvelle scène pop française (Bonnie Bonnie Banane, Muddy Monk, Aja du groupe La Femme,  Oklou, Clara Cappiani du groupe Agar-Agar et Lolo Zouaï); des rappeurs du moment (Hamza, Roméo Elvis, Jok’air), ses complices de Bon Gamin (Ichon et Loveni) ainsi que le Doc Gynéco sur le morceau La Piscine, histoire d’assumer la filiation avec Première Consultation.

Le projet fait la part belle à l’amour et aux sentiments avec sincérité. Chaque morceau est l’occasion d’évoquer toutes les émotions propres à l’amour comme la séduction, l’euphorie, le désir, la sensualité, la séparation, la nostalgie, l’attente. Myth Syzer crée une couleur musicale en accord aux sentiments exprimés dans les morceaux. Les productions sont très mélodieuses, renforcées par les synthés omniprésents. Les refrains entraînants et très efficaces sont au cœur du disque (Pot de Colle, Le Code ou Coco Love). Cet album est une machine à tube, des loves songs comme Sans toi, avec Hamza le crooner belge 2.0 rappelle le rnb des années 2000.

A la manière d’un top liner, Myth Syzer distille ses refrains et quelques phases parmi ses invités. On sent que l’artiste n’est pas complètement à l’aise dans l’exercice, mais cela montre sa grande authenticité. Mon morceau préféré de l’album, Full Metal est servi par un tempo plus lent qui laisse la place à la voix suave et sensuel d’Aja, ennivré par les vapeurs de l’amour.

Au passage, il faut évoquer le travail esthétique de l’album que ce soit sur la pochette ou dans les clips. Initié par le duo Julia & Vincent, les couleurs pastel et fluo des visuels s’inspirent des roman-photo et viennent rajouter leur pâte à la qualité indéniable à l’album.

Bisous de Myth Syzer épate par sa capacité à mélanger rap et pop voir variété française, un bonbon musical à écouter tout l’été.

Myth Syzer, Bisous (Animal 63/ Believe).
Crédit photo: Alice Moitié