Grems, l’iconoclaste

Grems, l’iconoclaste

Nous voilà au cœur de l’été. La chaleur nous donne l’envie de ne rien faire, à part peut être siroter un cocktail devant une piscine. C’est l’occasion pour moi de revenir sur ce premier semestre 2018 du rap français. Je vous propose alors une série estivale de plusieurs articles composés de portrait, de chroniques d’albums et billes d’humeur des protagonistes qui ont composé mon rap français. Première partie, Grems.

 

Parler de Grems, c’est évoquer toute une partie moins exposé de la scène rap français. Rappeur, producteur, graffeur et graphiste/ designer, c’est un artiste complet. Depuis le début des années 2000, Grems s’est toujours démarqué de la tendance dominante avec un rap inclassable. Tellement inclassable que les médias spécialisés l’avaient classé dans la scène rap dite « alternative » composée de groupes tels La Caution, les Svinkels, TTC ou encore Klub des Loosers.

Parler de Grems, c’est aussi évoquer un rappeur libre, avant-gardiste, en marge mais avec toujours un pied dans le rap français. Car Grems ne cherche pas à être la représentation d’un personnage. Dans sa musique, il se contente d’être lui-même, Michael Eveno. Parce que, comme il l’explique dans les rares interview qu’il donne, le rap lui a sauvé la vie.

Ma découverte de l’artiste

J’ai découvert Grems en 2011 avec la sortie de son cinquième album solo, Algèbre 2.0. En s’associant avec le producteur belge Noza, le rappeur donnait une suite à son premier opus Algèbre sortie en 2004. Le rap français vivait alors une période de véritable renouveau du rap avec des nouvelles figures comme le collectif parisien, L’Entourage (composé entre autres de Nekfeu, Deen Burdigo), Guizmo ou A2H. Cette nouvelle génération de MC s’inspirait fortement du rap des années 90 que se soit dans le style de rime, de flow et de beats boom-bap, style de production très new-yorkaise.

Grems saisit cette nouvelle effervescence qui secoue le rap français pour revenir avec un album solo aux accents boom-bap tout en gardant la créativité sonore propre à l’artiste. Il collabore même avec des représentants de la nouvelle scène comme Nemir dans Gens du Passage et surtout Nekfeu dans Les Vrais Savent (morceau hors-projet). Sur le titre éponyme Algèbre 2.0, Grems donne toute l’étendue de son rap en moins de 2 min: un flow élastique; une grammaire complexe; un vocabulaire mélangeant du verlan, de l’argot, des jeux de mots à tiroirs et une vulgarité audacieuse. Pas de doute, avec Grems, j’avais affaire à un artiste totalement libre et imprévisible.

 

 

 

 

 

Je me suis mis à suivre sa carrière de près. Que ce soient ses projets avec ses différents groupes comme Klub Sandwich ou PMPDJ, ses essais dans l’électro avec le projet Rouge à Lèvre et je me suis surtout intéressé à ses albums personnels. J’écoute alors son chef-d’œuvre, Airmax sortie en 2006, qui fait parti de mon panthéon des meilleurs albums du rap français.

Airmax, un chef d’œuvre incompris

Dans Airmax, Grems impose son art et son style de rap dont il est le fier représentant: le deep-kho. Selon l’artiste, ce son consiste à mélanger du rap et de la musique électro plus particulièrement de la deep-house. Le flow du rappeur au débit incroyable s’adapte parfaitement à ces beats rapides au 120 bpm loin des standards du rap mainstream, comme dans Punky Booster. Avec ces expérimentations musicales, Grems devient l’ovni du rap français, bien avant Jul. Il faut dire que le rappeur prend un malin plaisir à invectiver tout ce qui bouge et surtout le rap game qu’il considère comme de la Pisse de Flûte. Si Grems prend le contre-pied de toute une partie du rap français des années 2000, bloqué dans un stéréotype de street credibility, c’est grâce à son langage bien sûr si particulier, mais aussi grâce aux thèmes abordés dans sa musique. Dans Airmax, il dédie une lettre d’amour aux Gothics, il se moque de la jeunesse fashion dans Putes à Franges et des misogynes dans Pamizo en assumant le fait d’être une pute en mec. Sur cet album, Grems invite un casting très diversifié. Cela va de rappeurs de son cercle proche comme Le Jouage, Sept, Moudjad ou Jonn 9000 (qui produit aussi une grosse partie de l’album), à des rappeurs comme Sako de Chiens de Paille ou Disiz La Peste sur l’excellent Carte à Puce remix. Avec Disiz, ils collaborent ensemble dans le projet Klub Sandwich, ce qui prouve bien la tendance de Grems à multiplier les projets avec des acteurs du milieu. Enfin, avec cet album, je découvre la musique house grâce à ses références comme Moodymann, ponte de la scène de Chicago et cela m’a donné envie de m’intéresser à cette musique. Rien que pour toute ces facettes que regorge Airmax, je remercie Grems.

 

 

 

En 2013, l’artiste sort Vampire qu’il présente comme son dernier album. Sa musique y est toujours libre. Il utilise les nouvelles sonorités de l’époque comme la dubstep, la trap pour les mettre à sa sauce. Le concept de l’album est tourné vers le macabre avec des morceaux comme Zombi, Cimetière ou Vampire. La pochette créé par Grems s’inspire du portrait de Vlad III L’Empaleur, roi de Transylvanie qui fut utiliser pour la figure de Dracula. Si Grems présente son sixième album solo comme son dernier, c’est que celui-ci se sent lassé par l’industrie musical française et la France en général car pour lui, la musique est avant tout une passion qu’un métier. Il considère la France comme un pays rétrograde pour les artistes novateurs comme lui. Alors sur cet album, Grems se lâche encore plus et crache sur le rap game bien sûr, les majors, les sites spécialisés comme Booska-P, les réseaux sociaux, les flics les syndicats, la mentalité française et pour se démarquer encore plus, il définit sa musique comme Shlag music. D’ailleurs, son morceau Pinocchio, peut s’entendre comme un doigt d’honneur général. Grems s’en fout, il est déjà loin de la France grâce à son métier de graphiste/ graffeur qui lui permet de voyager à travers le monde. L’artiste est en roue libre, il crée son propre label (Grems Industry), décide de faire de la musique selon ses envies en sortant une série d’E.P court courant 2015-2016 tout en continuant ses activités de graffeur/ designer. Grems se consacre à partager sa musique avec ces potes. En 2015, avec son acolyte de toujours Le Jouage avec qui ils forment le groupe de ses débuts, Hustla, ils sortent l’album Ascenseur Émotionnel.

Sans Titre #7, le best-of ?

Alors que j’avais détourné mon attention sur l’actualité musicale de Grems, fin 2017, je tombe sur la page Facebook de l’artiste qui annonce un nouveau clip, Fantomas comme premier extrait de son nouvel album. Il s’intitule Sans titre #7 et sort le 19 janvier 2018 uniquement sur format digital ! Great news !

 

On va pas tomber dans le suspense, Sans titre #7 est un excellent et pur album de Grems. Je le vois comme un best-of parfait des vingt ans de carrière du bonhomme. Toute l’essence de la musique de Grems s’y retrouve sur 19 titres courts mais intenses. L’ambiance sonore y est très diversifiée. On passe bien sûr d’hommage à la house de Chicago sur Chichago ou Tokup, des morceaux trap très deep comme Mandala et d’autres plus groovy comme Balaras les Flow grâce au super refrain d’Hedi Yussef. L’artiste est totalement libre et cela se ressent sur sa musique. Qu’il se moque des rappeurs aux cheveux longs sur Babyliss ou adresse une lettre d’amour au sexe féminin dans L’origine, Grems garde cette envie de prouver qu’il est le meilleur MC. Ce que j’apprécie beaucoup chez l’artiste, c’est qu’il dévoile quelques imperfections dans ses morceaux. Comme si l’artiste était conscient que certaines tournures de phrase ou tentatives musicales pourraient mal passer. Sauf que Grems met tellement de cœur et d’énergie dans sa musique, qu’on est immergé dans l’univers de l’artiste et on en redemande.

Sans titre #7 se présente comme l’un des meilleurs albums du premier semestre 2018. Après une courte tournée triomphante en début d’année, Grems a promis de revenir à la rentrée. L’occasion de découvrir toute son énergie sur scène, sa folie et de profiter de sa musique en live. Et si vous êtes intéressé par son travail de graffeur, Grems a lancé un festival de street art, Colorama qui se tiendra à Biarritz du 2 au 22 août.