Dour mon amour

La saison estivale offre une multitude de choix pour un jeune étudiant lambda. Il peut se dorer la pilule sur une plage, organiser des barbecues, bosser dans un taff précaire pour financer ses études ou bien se défoncer les tympans (ou autre chose) dans un festival de musique. J’ai choisi la dernière option. Après avoir écumé quelques festivals parisiens (Rock en Seine, Solidays), cette année, mon attention s’est portée vers le festival de Dour (Belgique) qui se déroulait du mercredi 13 juillet au dimanche 17. Cinq jours complètement fous entre concerts incroyables, bières belges qui coulent à flot et aventures de camping. Tout cela dans un joyeux bordel où résonnaient le cri de ralliement du festoche: Doureuuuh !

Depuis sa création en 1989, ce festival belge se distingue par sa volonté de programmer des musiques alternatives (tout y passe même de l’électro touarègue). Cette année encore, il affiche un line-up impressionnant avec plus de 200 artistes. Bien évidemment, la scène hip-hop était représentée avec des rappeurs américains, anglais, français, hollandais et des belges qui jouaient à domicile. Après avoir vécu cinq jours intenses, j’ai envie de vous faire partager les moments forts du festival.

Day 1: Après un voyage en covoiturage sans soucis avec ma copine, nous arrivons sur le site à 14h pour installer nos tentes et créer un petit camp de base entre amis. Pour le premier jour, le festival programme moins de concerts afin de laisser du temps aux milliers de festivaliers de s’installer dans les différents campings. C’est aussi une habitude à Dour de commencer les festivités par un apéro. A la bière bien évidemment.

Nous débutons les festivités à 20h avec Baloji, rappeur belgo-congolais sur la scène Last Arena (la grande scène). Le rappeur vient présenter son nouvel E.P, 64Bits et Malachite, sorti en 2015, qui mêle sonorités rumba, beats électro et rap. Son show est assez plaisant pour un premier concert. Accompagné de très bons musiciens congolais sapés comme jamais, Baloji vit sa musique physiquement en se laissant aller dans une chorégraphie frénétique digne d’un James Brown. Il en profite pour discréditer l’appellation de world music qu’il juge méprisante. Il mouille le maillot grâce à son énergie folle. Y’a pas à dire, ça promet pour la suite du festival.

Pas de répit, nous enchaînons à 21h30 avec peut-être le concert le plus maboule du festival (oui oui dès le premier jour), Salut c’est cool, le groupe français totalement loufoque de techno-variété (tout un concept). Trop peu de mots pour décrire ce joyeux bordel mais voici une vidéo qui résume bien le délire > vidéo.

Day 2: Le programme s’annonce encore plus alléchant avec MHD, A$AP Ferg, Kevin Gates niveau rap et THE PRODIGY en électro.

Première nuit au camping et premier apéro prématuré, la tradition veut qu’ici on sirote sa bière dès le petit déjeuner. A force de traîner au camping, nous accusons un petit retard pour le concert de MHD sur la grande scène, qui a commencé depuis une bonne demi-heure. L’un des phénomènes rap de l’année avec son afro-trap vient déchaîner la foule à coup de dab. Il enchaîne les titres Roger Milla, Fais le Mouv, Molo Molo et le tant attendu Champions League, son morceau le plus connu, où le public crient ces fameux gimmick « Paw, Paw, Paw, Paw ». Certains festivaliers continueront même à brailler ces mots toutes la soirée.

A 18h30, les choses sérieuses commencent avec A$AP Ferg. Issu du collectif new-yorkais A$AP Mob, le pote d’A$AP Rocky vient présenter son nouvel album, sortie début juin. Avec sa carrure de footballeur américain et sa démarche hautaine, le rappeur prouve bien sa réputation d’américain. Car si A$AP Ferg possède plusieurs bangers dans sa discographie, sur scène il nous donne le strict minimum en enchaînant les morceaux sans conviction. Autant dire que j’étais un peu frustré d’entendre les versions écourtées des morceaux Work, Shabba, Let It Bang. Bon, je me suis quand même bien enjaillé, c’est le principal. En chantant deux fois son gros tube New Level, A$AP Ferg a fait bouger la foule et provoquer un bon fou rire avec ma copine qui pensait que le rappeur répétait «Bitch I’m a noodle». La signification de la chanson en a prit un coup.

Pas de temps de digérer le concert du Trap Lord, que nous filons direct à la scène Boombox,  pour retrouver Kevin Gates, le rappeur de Bâton-Rouge en Louisiane. Si ce rappeur fait encore peu de bruit en France, il connaît une popularité de plus en plus forte aux États-Unis, avec son dernier album Islah. Son show tranche avec le précédent car Kevin Gates a une démarche très sincère dans sa musique. Avec sa voix caverneuse, il se présente comme un gangster repenti, une bête blessée. Même si Gates n’est pas très mobile sur scène, il compense avec son charisme. La musique devient plus sombre, son personnage adopte une posture macabre. Le concert se transforme en une messe funèbre où les basses de plus en plus forte, résonnent profondément dans le sol pour réveiller les morts. On dirait presque de la spéléologie. Autant avec son DJ qu’avec son public, il balance des punchlines bien vénères: «I’m a good person but I hate when a man fucks with me». Le mec ne blague pas sur son orientation sexuelle. Bref, Kevin Gates a montré qu’il était un rappeur sous-estimé.

Wiz Khalifa était annoncé comme l’une des figures rap importantes du festival mais personnellement j’en ai rien à foutre de ce gros drogué aux cheveux violets ! Passons directement à THE PRODIGY qui après plus de vingt ans d’existence  sont toujours là pour défoncer des parpaings à base de son électro et d’énergie punk. Les papys font de la résistance ! > photo

Day 3: La fatigue commence déjà à pointer le bout de son nez mais pas de répit pour une nouvelle grosse journée.
Pour moi, la journée commence à 19h (super tôt) avec Mobb Deep sur la Last Arena. Cela faisait longtemps que j’avais envie de voir sur scène le groupe new-yorkais. J’ai longtemps considéré Prodigy, l’un des membres du groupe, comme mon rappeur américain préféré. Les Infamous débarquent sur scène tout de noir vêtus, sombre comme la musique qu’ils réalisent depuis plus de vingt ans. La démarche est toujours thug, le duo longe la scène tout en s’évitant. Ces dernières années, les deux rappeurs ne se côtoyaient plus. Un nouvel album en 2014 et une tournée, ont fini par les réconcilier. Il faut attendre la vingtième minute pour les voir enfin côte à côte. L’arrivée de Big Noyd en invité surprise redonne un peu de folie au concert. Le groupe rappe une grande partie de leur répertoire notamment des morceaux de leur  mythique premier album qui a fait leur renommée, The Infamous jusqu’à un final d’exception avec la chanson Shook Ones. Sans être étincelant, Mobb Deep a assuré un spectacle de qualité.

A 20h, nous nous précipitons à la Boombox où Jazzy Bazz se produit. Originaire de Paris XIXe, il présente son très bon premier album, P-Town (chronique à venir inchallah) sortie cette année. Accompagné d’un live band et de son acolyte, Esso Luxueux, le rappeur parisien donne la sensation de se faire plaisir sur scène. Tout en enchaînant les morceaux de son album, il rend également hommage au rap français avec des reprises des grands rappeurs (Fabe, Lunatic, Oxmo Puccino). Un bon concert de rap qui donne envie de revoir Jazzy Bazz sur scène.

Pas le temps de niaiser, je fais un petit passage sur la scène de la Jupiler Dance Hall afin de découvrir Peaches, chanteuse canadienne, qui à 47 ans est toujours d’attaque pour foutre un coup pied au cul à la pop music avec son attitude queer et ses beats qui tabassent. Bon j’ai loupé la prestation de Denzel Curry, jeune rappeur floridien qui vient d’être cité dans les Freshman 2016, une liste de rappeurs américains à suivre par le prestigieux magazine XXL. Avec le show extravagant de Peaches, ça valait largement le coup de louper le jeune rookie. Et c’est encore l’expérience qui gagne à la fin > vidéo.

A 22h30, je déguerpis à la Cannibal Stage, pour voir Hamza, le plus américain des rappeurs belges, qui vient de sortir la mixtape Zombie Life. Il symbolise un nouveau souffle que connaît la scène rap en Belgique qui profite ainsi au rap francophone. Malgré son jeune âge (21 ans), le rappeur sait tout faire: il produit, rappe, chante avec auto-tune et enchaîne les tubes avec frénésie. Fortement influencé par le rap d’Atlanta comme Young Thug et Future, Hamza étire ou réduit les mots insufflant à ses chansons. Pour son concert, le public est au rendez vous. Hamza fait monter la pression et il faut peu de temps pour voir une foule complètement débridé. J’aperçois même un mec qui se met même à escalader une colonne du chapiteau à plus de 5 mètres sous les acclamations du public. Comme dirait Kaaris: «Les singes viennent de sortir du zoo». En tout cas, Hamza maîtrise vraiment bien l’auto-tune sur scène, sa voix se transforme presque en chant vaudou qui ensorcelle le public. Il enchaîne ainsi tous ces tubes potentiels et surtout le tant attendu La Sauce. Le rappeur finit par nous achever avec le morceau Slowdown.

La soirée se finit sur la grande scène avec un bon set de Birdy Nam Nam, abandonné par leur camarade DJ Pone. Nous pouvons ainsi rentrer au camping exténué mais rassasié d’une journée bien remplie.

Day 4: Ce festival belge devait me permettre de découvrir la nouvelle scène rap belge en pleine effervescence. J’aurai bien voulu voir les prestations de Roméo Elvis et Woodie Smalls, disciple belge de Tyler The Creator. Mais les programmateurs ont eu la bonne idée de mettre les rappeurs super tôt. Les concerts à 13h-14h quand tu t’es couché à 4h du mat, c’était plutôt tandax. Finalement, j’ai privilégié un petit déjeuner au bon goût du houblon avec des bières tièdes. Au quatrième jour, on fait ce qu’on peut !

Les concerts commencent donc à 17h30 avec Odezenne, groupe français avec un rap de gueule de bois. Sans l’appui des médias traditionnels et rap, ils ont réussi à se créer une vraie fan base grâce à internet. Leurs chansons aux paroles crues décrivent une jeunesse désabusée qui se reconnaît dans ce discours défaitiste. Malgré des paroles bien badJ’suis juste une petite merde issue d’un gland»), les gens sont chaud et j’assiste à un festival de poupées gonflables qui dominent la foule. Même l’ingé-son s’est entouré d’une poupée en latex tout en continuant son taff. Le clou du spectacle se scelle sur leur chanson d’amour 2.0, Je veux te baiser. Eh ouais, au XXIe siècle, les chansons d’amours « fleurs bleues », c’est plus ce que c’étaient.

A 23h, l’un des rendez vous de la journée se nomme Skepta. Le rappeur anglais monopolise l’attention depuis deux ans. Il vient remettre le rap anglais à l’honneur, la grime, ce type de rap au bpm très rapide. La sortie de son album cette année Konnichiwa a aussi été confirmé.  Autant dire que la scène Boombox était pleine à craquer. L’attente est intenable, le mec se fait passer pour un rappeur américain. Finalement sous les cris des gens, Skepta débarque comme un gladiateur dans l’arène. La sono crache des rythmes grime influence caribéenne qui font danser la foule. On se croirait dans un soundsystem jamaïcain. Il termine sur son tube Shutdown Avec seulement 40 minutes de présence sur scène, le rappeur anglais a plié le game !

Day 5: C’est le dernier jour ! Nous sommes toujours debout malgré la fatigue et la saleté. La journée s’annonce toujours aussi chargée. La scène Boombox sera notre QG pour la journée. Et pour profiter des derniers instants belges, quoi de plus beau que de commencer les concerts à 15h !

Fidèles à nos habitudes, c’est avec une bonne vingtaine de minutes de retard que nous nous rendons à la scène de la Boombox pour voir Seth Gueko. Le rappeur le plus loubard du rap jeu vient notamment défendre son dernier album que j’avais chroniqué dans un article l’année dernière. Seth est un habitué de la scène, il blague avec son public, il balance des punchlines. Avec un set solide comme la carrure du gaillard, mais sans folie, Seth Gueko a prouvé son expérience avec plus de 10 ans de carrière. Barlou !

J’ai loupé malheureusement les prestations de TSR Crew, de Vald et d’Oxmo (que j’ai déjà vu). Bon ça sera pour une prochaine fois. Pour finir ces magnifiques cinq jours, notre dernière soirée s’achève sur un superbe set du DJ américain, Sango qui mélange sonorités brésiliennes et des bons beats chiandés.

Merci Dour mon Amour et j’espère à l’année prochaine.

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